Du Grand Louvre à l'Arche de la Défense ou à la Grande Bibliothèque... vingt ans après son arrivée au pouvoir, le 10 mai 1981, François Mitterrand aura laissé un patrimoine architectural considérable. Mais à quel prix ?
En deux mandats présidentiels, François Mitterrand aura inscrit son empreinte architecturale dans la capitale. Mais durant ces 14 ans passés au pouvoir, le président-bâtisseur aura également laissé une lourde facture. Car pour arriver à ses fins, l'ancien président de la République n'a pas lésiné sur les moyens... et pas simplement financiers.
Le ton est donné dès les premiers jours de son accession au pouvoir. Alors qu'aucun des grands travaux ne figurait dans ses fameuses 110 propositions, François Mitterrand leur consacrera une bonne partie de sa première conférence de presse en tant que Président de la République. A l'époque, il fut bien sûr question de l'achèvement du musée d'Orsay et l'Institut du monde arabe lancés par son prédécesseur. Mais, à la surprise de bon nombre de ses proches, François Mitterrand a également évoqué la création d'un Opéra, d'une salle de rock, d'une cité musicale et de son projet autour du Grand Louvre. Même Jacques Delors, alors ministre de l'Economie, apprit en même temps que la presse que son ministère serait amené à déménager ! Pourtant, les observateurs attentifs auraient pu anticiper cette vague de grands travaux. Avant même d'être élu, le président écrivait dans son livre La Paille et le grain : "Dans toute ville, je me sens empereur ou architecte. Je tranche, je décide et j'arbitre".
Une méthode autoritaire, mais efficace
"Je tranche, je décide et j'arbitre" : rien ne sera moins vrai. Pour réaliser ses ambitions de président-bâtisseur, François Mitterrand n'hésitera pas à transgresser quelque peu certaines règles administratives. C'est ainsi que le Grand Louvre sera commandé directement à l'architecte sino-américain Leoh Ming Pei par le président ! Afin d'aller plus vite dans les démarches administratives, un secrétariat d'Etat aux Grands Travaux verra même le jour en 1988. D'ailleurs, force est de reconnaître que cette méthode autoritaire sera déterminante dans la réalisation de ces projets. Jugez plutôt : lancée en 1988, la Très Grande Bibliothèque sera inaugurée en 1995. Un record pour un chantier de cette ampleur ! Plus scrupuleux, nos voisins d'Outre-Manche auront mis 33 ans entre la prise de décision et l'inauguration, en 1997, de la British Library.
Il est certain que de telles méthodes ne sont pas sans conséquences sur les projets en question. Le Grand Louvre, l'Arche de la Défense, l'Opéra Bastille, la Grande Bibliothèque sont autant de réalisations qui resteront dans l'histoire, mais dont l'héritage reste difficile à gérer. L'exemple le plus frappant en est le succès du musée du Louvre, qui, en dix ans, a doublé ses surfaces d'exposition mais aussi le nombre de ses visiteurs (6 millions en 2000). Le musée, dont l'agrandissement s'est chiffré à quelque 7 milliards de francs (1,067 milliards d'euros), souffre du succès de sa pyramide. Alors que le musée possède d'autres entrées (Porte des Lions, Carrousel, Aile Richelieu), les visiteurs (à 70% étrangers) ne connaissent que celle de Pei, au prix de longues files d'attente. De plus, faute d'effectifs suffisants (accueil, surveillance), "le plus grand musée du monde" est contraint de fermer en permanence et par rotation 22% de ses espaces.
D'innombrables critiques
Quelques-uns des grands travaux réalisés sous l'ère Mitterrand ont été fort contestés de leur vivant, tant sur le plan financier (quelque 35 milliards de francs, 5,34 milliards d'euros) qu'architectural ou social. Mais beaucoup le sont plus encore plus aujourd'hui. Portée au nues lors de son ouverture - peut-être parce qu'il fallait justifier son coût exorbitant d'environ 9 milliards de francs (1,37 milliards d'euros) -, la Bibliothèque de France, à Tolbiac, est en proie à d'innombrables critiques. Dans son dernier ouvrage, Philippe Trétiack, architecte et journaliste ("Faut-il pendre les architectes'", Seuil) se gausse de ses "emmarchements monumentaux (qui) se sont révélés des pistes de bobsleigh". D'autres se demandent encore pourquoi les livres se trouvent dans les tours et le personnel dans les sous-sols.
La Grande Arche (2,7 milliards de francs, 410 millions d'euros), avec son architecture frontale et ses "escaliers qui assassinent le piéton en lui cassant d'entrée le moral", selon Philippe Trétiak, le dispute en désamour architectural à l'Opéra-Bastille (2,8 milliards de francs, 427 millions d'euros). Les deux bâtiments ont en commun d'avoir dû recourir à des filets pour maintenir les dalles qui se descellent des façades. Curieusement, les projets les plus décriés au départ - tels la pyramide du Louvre de l'architecte Pei - sont maintenant les plus prisés. D'autres réalisations ont gardé intact leur capital de sympathie (Cité de la Musique, Grande Galerie du Museum d'Histoire Naturelle) ou de désamour (Opéra-Bastille, Grande Arche).
Le douloureux problème de l'entretien
L'ère des grands chantiers de François Mitterrand - qui incluent la Cité de
la Musique (600 millions de francs, 91 millions d'euros) et le ministère des Finances à Bercy (2,9 milliards de francs, 442 millions d'euros) - si elle fait encore rêver, a débouché sur une dure réalité : il faut faire vivre ces monuments. "Nous avons dépensé des milliards pour des monuments que nous n'avons pas les moyens d'entretenir", déclarait récemment Maryvonne de Saint-Pulgent, ancien Directeur du Patrimoine au ministère de la Culture. La grogne s'est installée au sein des personnels de la Culture, en proie à des sous-effectifs chroniques, auxquels s'ajoutera bientôt celui occasionné par la réduction du temps de travail (RTT) applicable en 2002. La marge de manoeuvre du ministère de la Culture est d'autant plus réduite que son budget - 16,5 milliards de francs (2,52 milliards d'euros) pour 2001 - doit s'accommoder de nouveaux chantiers qui eux, sont à l'initiative du nouveau président . Ainsi, le musée du Quai Branly, la restauration du Grand Palais (dont le démarrage est régulièrement reporté), la Cité de l'Architecture et du Patrimoine ou le Centre de la Jeune Création au Palais de Tokyo attendent leur tour.
Le ton est donné dès les premiers jours de son accession au pouvoir. Alors qu'aucun des grands travaux ne figurait dans ses fameuses 110 propositions, François Mitterrand leur consacrera une bonne partie de sa première conférence de presse en tant que Président de la République. A l'époque, il fut bien sûr question de l'achèvement du musée d'Orsay et l'Institut du monde arabe lancés par son prédécesseur. Mais, à la surprise de bon nombre de ses proches, François Mitterrand a également évoqué la création d'un Opéra, d'une salle de rock, d'une cité musicale et de son projet autour du Grand Louvre. Même Jacques Delors, alors ministre de l'Economie, apprit en même temps que la presse que son ministère serait amené à déménager ! Pourtant, les observateurs attentifs auraient pu anticiper cette vague de grands travaux. Avant même d'être élu, le président écrivait dans son livre La Paille et le grain : "Dans toute ville, je me sens empereur ou architecte. Je tranche, je décide et j'arbitre".
Une méthode autoritaire, mais efficace
"Je tranche, je décide et j'arbitre" : rien ne sera moins vrai. Pour réaliser ses ambitions de président-bâtisseur, François Mitterrand n'hésitera pas à transgresser quelque peu certaines règles administratives. C'est ainsi que le Grand Louvre sera commandé directement à l'architecte sino-américain Leoh Ming Pei par le président ! Afin d'aller plus vite dans les démarches administratives, un secrétariat d'Etat aux Grands Travaux verra même le jour en 1988. D'ailleurs, force est de reconnaître que cette méthode autoritaire sera déterminante dans la réalisation de ces projets. Jugez plutôt : lancée en 1988, la Très Grande Bibliothèque sera inaugurée en 1995. Un record pour un chantier de cette ampleur ! Plus scrupuleux, nos voisins d'Outre-Manche auront mis 33 ans entre la prise de décision et l'inauguration, en 1997, de la British Library.
Il est certain que de telles méthodes ne sont pas sans conséquences sur les projets en question. Le Grand Louvre, l'Arche de la Défense, l'Opéra Bastille, la Grande Bibliothèque sont autant de réalisations qui resteront dans l'histoire, mais dont l'héritage reste difficile à gérer. L'exemple le plus frappant en est le succès du musée du Louvre, qui, en dix ans, a doublé ses surfaces d'exposition mais aussi le nombre de ses visiteurs (6 millions en 2000). Le musée, dont l'agrandissement s'est chiffré à quelque 7 milliards de francs (1,067 milliards d'euros), souffre du succès de sa pyramide. Alors que le musée possède d'autres entrées (Porte des Lions, Carrousel, Aile Richelieu), les visiteurs (à 70% étrangers) ne connaissent que celle de Pei, au prix de longues files d'attente. De plus, faute d'effectifs suffisants (accueil, surveillance), "le plus grand musée du monde" est contraint de fermer en permanence et par rotation 22% de ses espaces.
D'innombrables critiques
Quelques-uns des grands travaux réalisés sous l'ère Mitterrand ont été fort contestés de leur vivant, tant sur le plan financier (quelque 35 milliards de francs, 5,34 milliards d'euros) qu'architectural ou social. Mais beaucoup le sont plus encore plus aujourd'hui. Portée au nues lors de son ouverture - peut-être parce qu'il fallait justifier son coût exorbitant d'environ 9 milliards de francs (1,37 milliards d'euros) -, la Bibliothèque de France, à Tolbiac, est en proie à d'innombrables critiques. Dans son dernier ouvrage, Philippe Trétiack, architecte et journaliste ("Faut-il pendre les architectes'", Seuil) se gausse de ses "emmarchements monumentaux (qui) se sont révélés des pistes de bobsleigh". D'autres se demandent encore pourquoi les livres se trouvent dans les tours et le personnel dans les sous-sols.
La Grande Arche (2,7 milliards de francs, 410 millions d'euros), avec son architecture frontale et ses "escaliers qui assassinent le piéton en lui cassant d'entrée le moral", selon Philippe Trétiak, le dispute en désamour architectural à l'Opéra-Bastille (2,8 milliards de francs, 427 millions d'euros). Les deux bâtiments ont en commun d'avoir dû recourir à des filets pour maintenir les dalles qui se descellent des façades. Curieusement, les projets les plus décriés au départ - tels la pyramide du Louvre de l'architecte Pei - sont maintenant les plus prisés. D'autres réalisations ont gardé intact leur capital de sympathie (Cité de la Musique, Grande Galerie du Museum d'Histoire Naturelle) ou de désamour (Opéra-Bastille, Grande Arche).
Le douloureux problème de l'entretien
L'ère des grands chantiers de François Mitterrand - qui incluent la Cité de
la Musique (600 millions de francs, 91 millions d'euros) et le ministère des Finances à Bercy (2,9 milliards de francs, 442 millions d'euros) - si elle fait encore rêver, a débouché sur une dure réalité : il faut faire vivre ces monuments. "Nous avons dépensé des milliards pour des monuments que nous n'avons pas les moyens d'entretenir", déclarait récemment Maryvonne de Saint-Pulgent, ancien Directeur du Patrimoine au ministère de la Culture. La grogne s'est installée au sein des personnels de la Culture, en proie à des sous-effectifs chroniques, auxquels s'ajoutera bientôt celui occasionné par la réduction du temps de travail (RTT) applicable en 2002. La marge de manoeuvre du ministère de la Culture est d'autant plus réduite que son budget - 16,5 milliards de francs (2,52 milliards d'euros) pour 2001 - doit s'accommoder de nouveaux chantiers qui eux, sont à l'initiative du nouveau président . Ainsi, le musée du Quai Branly, la restauration du Grand Palais (dont le démarrage est régulièrement reporté), la Cité de l'Architecture et du Patrimoine ou le Centre de la Jeune Création au Palais de Tokyo attendent leur tour.