EXPOSITION. Dès ce samedi 7 juin et jusqu'au 23 novembre prochain, le pavillon français prendra ses quartiers habituels à la Biennale de Venise, l'incontournable grand-messe internationale de l'architecture. Le concepteur et commissaire du Pavillon, Jean-Louis Cohen, explique à Batiactu la philosophie et les grandes lignes de l'exposition tricolore placée sous le titre : "La modernité, promesse ou menace ?" Interview exclusive.
Batiactu : Vous avez choisi de décliner le thème "Fundamentals" choisi par par Rem Koolhaas* sous le titre "La modernité, promesse ou menace ?". Pourquoi cette question ?
Jean-Louis Cohen : Parmi les nombreuses manifestations de la modernité architecturale depuis 1914 qu'elle entend présenter, la Biennale cette année rend compte de deux enjeux principaux. Le premier porte sur des éléments dits "fondamentaux" de l'architecture, tels qu'ils ont été inventés ou reformulés, en réponse à des attentes nouvelles et avec des techniques et des formes inédites, s'assemblant pour former la matérialité du monde contemporain. Le second enjeu porte sur la dissémination mondiale des types et des thèmes dominants, "absorbés", d'après l'architecte néerlandais Rem Koolhaas, commissaire général de l'exposition, ou plutôt assimilés de façon spécifique par chaque culture nationale ou régionale.
Jean-Louis Cohen : Parmi les nombreuses manifestations de la modernité architecturale depuis 1914 qu'elle entend présenter, la Biennale cette année rend compte de deux enjeux principaux. Le premier porte sur des éléments dits "fondamentaux" de l'architecture, tels qu'ils ont été inventés ou reformulés, en réponse à des attentes nouvelles et avec des techniques et des formes inédites, s'assemblant pour former la matérialité du monde contemporain. Le second enjeu porte sur la dissémination mondiale des types et des thèmes dominants, "absorbés", d'après l'architecte néerlandais Rem Koolhaas, commissaire général de l'exposition, ou plutôt assimilés de façon spécifique par chaque culture nationale ou régionale.
Dans ce jeu mondial, la France est indissociablement émettrice et réceptrice. Dans l'Hexagone s'élabore un nombre significatif d'inventions structurelles et spatiales, qui contribuent à la formation du langage de la modernité, qu'il s'agisse du béton armé d'Auguste Perret et Eugène Freyssinet, et de l'interprétation qu'en donnera Le Corbusier, ou du métal de Marcel Lods et Jean Prouvé.
Jean-Louis Cohen : Plus qu'une histoire linéaire de ces épisodes, ou une narration téléologique qui verrait dans l'architecture du XXIe siècle l'héritière directe des pionniers des années 1920, je propose de mettre l'accent sur plusieurs des contradictions qui ont marqué l'invention de l'architecture moderne et son déploiement en réponse aux attentes de la société. La modernité aura ainsi été d'abord une promesse, celle d'habitations rationnelles et abordables et de villes salubres, celle aussi d'inventions exaltantes, comme les structures légères de Jean Prouvé. Spécifique à la France, la conjugaison d'une intervention publique massive et d'une invention technique féconde a permis, dès les années 1930, la formulation de solutions expérimentales.
Toutefois, cette même configuration a conduit après 1950 à la production en série d'ensembles ségrégés et monotones, dont la crise économique a aggravé les défauts. J'observe que l'architecture moderne a pu ainsi incarner la menace d'une existence dominée par les machines et leur production répétitive.
Batiactu : Justement, à quoi ressemblera l'exposition dévoilée dans le Pavillon Français ?
Jean-Louis Cohen : L'exposition présentée dans cet édifice de 310 m² commence dans les Giardini mêmes. Le dispositif élaboré par l'agence Projectiles associe des éléments surprenants polarisant l'attention dans chaque salle. Enveloppant ces objets, un récit filmique projeté sur des grands écrans restituera la dimension épique de l'histoire, à partir d'actualités cinématographiques, de films de propagande et de brefs extraits de films de fiction.
Au fil de ce parcours rythmé par un montage cinématographique associant documentaires d'époque et scènes des films de Jean-Luc Godard et Jacques Tati, quatre épisodes troublants -"Jacques Tati et la villa Arpel : objet de désir ou machine ridicule ?", "Jean Prouvé : imagination constructive ou utopie ?", "La préfabrication lourde : économies d'échelle ou monotonie ?" et "Le grand ensemble d'habitation : hétérotopie salvatrice ou lieu de réclusion ?"- tous marqués par l'ambivalence des réponses de l'architecture à la condition moderne, forment notre propos.
Dans les jardins, un long mur en V invitera les visiteurs à entrer dans le bâtiment, où un double récit se déploie. Il rend compte des principales contradictions qui ont caractérisé l'architecture française au cours du XXe siècle, avec un accent plus prononcé sur la période des Trente Glorieuses, des années 1940 aux années 1970.
Par ailleurs, dans la galerie centrale, un haut mur faisant écho à celui de l'extérieur, découpe l'espace en créant un carré situé à 45 degrés par rapport au volume existant. En son milieu, l'attraction principale est une maquette au 1/10e de la villa Arpel, le principal protagoniste du film Mon Oncle de Jacques Tati (1958). Des dessins originaux de Jacques Lagrange, le concepteur de la maison, sont présentés autour. Et sur la toile de fond d'un voyage au travers des paysages contemporains de la région parisienne, on a pensé à un montage réalisé par Teri Wehn Damisch qui assemble des séquences de documentaires vantant les vertus de la préfabrication et des grands ensembles.
Batiactu : Qu'est-ce que recouvre, d'après-vous, la modernité en architecture ?
Jean-Louis Cohen : Je me refuse à simplifier en une phrase la définition de la modernité car on a dépassé aujourd'hui la phase des slogans. Je reprendrais une célèbre citation de Jean Prouvé : 'Être moderne, c'est surtout ne jamais prononcer ce mot, qui est extrêmement dangereux, parce qu'il pose un problème au moment où on le prononce. Il faut construire avec l'esprit de son époque. Admirer le passé, bien sûr parce que c'est la connaissance, mais tâcher de découvrir ce que une époque peut procurer. Choisir l'acier, et découvrir ce que l'on peut faire de l'acier. En faire autant du béton, des matières plastiques, et d'autres choses qui vont nous procurer des possibilités nouvelles de construire. Et de tirer dans le temps présent le meilleur parti de ces matériaux avec les moyens les plus avancés de façonnage. Ca, c'est le modernisme tout simple, c'est de construire avec l'esprit de son temps.'
Batiactu : Enfin, quel message souhaitez-vous livrer aux architectes et passionnés de l'architecture ?
Jean-Louis Cohen : Je ne veux pas leur livrer de message nostalgique mais plutôt dire qu'il faut apprendre à regarder le monde contemporain, à "ouvrir des yeux qui ne voient pas", selon l'expression de Le Corbusier. La France porte également l'ambition de former des architectes aptes à concevoir des architectures pertinentes, en relation aux innovations des technologies autant qu'aux représentations du monde que nous donnent les sciences humaines. En ce sens, le Pavillon français éclaire ainsi les promesses de l'architecture qui permettront de construire le monde de demain.
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*L'architecte néerlandais Rem Koolhaas, commissaire général de l'exposition.
Découvrez dès la page 2, en exclusivité les quatre salles du Pavillon français, inaugurée, jeudi 5 juin 2014 à Venise.
Salle 1 : "Jacques Tati et la Villa Arpel : objet de désir ou machine ridicule"
Vue de la salle 1 : "Jacques Tati et la Villa Arpel : objet de désir ou machine ridicule".
Salle 2 : "Jean Prouvé : imagination constructive ou utopie"
Vue de la salle 2 : Jean Prouvé : imagination constructive ou utopie"
Salle 3 : La préfabrication lourde : économies d'échelle ou monotonie"
Salle 3 : La préfabrication lourde : économies d'échelle ou monotonie".
Salle 4 : Le grand ensemble d'habitation
Salle 4 : Le grand ensemble d'habitation, hétérotopie salvatrice ou lieu de réclusion ?
La mise en scène confiée à l'agence Projectiles
La densité des contenus mis en scènes par l'agence Projectiles, architecte et scénographe du pavillon, a conduit ainsi le commissaire à opter pour une démarche thématique. Le dispositif sera celui d'éléments surprenants polarisant l'attention dans chaque salle. "Enveloppant ces objets, un récit filmique projeté sur des grands écrans restituera la dimension épique de l'histoire, à partir d'actualités cinématographiques, de films de propagande et de brefs extraits de films de fiction" , signale l'agence.
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Par ailleurs, une publication accompagnera le Pavillon français "La modernité en France : promesse ou menace ? 101 bâtiments 1914-2014", sous la direction de Jean-Louis Cohen aux éditions Dominique Carré.
Le Pavillon français à découvrir parmi les 65 sites
Vue des nombreux styles nationaux digérés par la modernité, à découvrir dans les 65 pavillons.
Au coeur du quartier de la Biennale de Venise
Le quartier de la Biennale de Venise.