Il y a deux siècles exactement, Louis Joseph Vicat mettait au point le ciment artificiel, base du béton. Les industriels ont depuis développé une multitude de formulations différentes, apportant de nouvelles performances et caractéristiques à ce matériau, le plus employé dans la construction française. Différents spécialistes apportent leur éclairage.
Pour souffler les 200 bougies de la découverte des principes de l'hydraulicité, l'entreprise Vicat - qui porte le nom de son créateur - a organisé une table ronde d'experts du béton qui a su évoluer pour devenir totalement incontournable. Laury Barnes, responsable de la R&D du cimentier, énumère différentes formulations : "Le ciment ordinaire est principalement constitué de calcaire et d'argile qui subissent une cuisson afin de former d'abord le clinker, qui est ensuite broyé et additionné de sulfates. Le ciment prompt résulte de la même formule, mais cuite à basse température. Il est principalement utilisé pour la restauration du patrimoine ou les travaux sous-marins". La spécialiste évoque ensuite des variantes plus modernes : "Le ciment à faible chaleur d'hydratation comporte moins de sulfates et moins d'aluminium. Il est utile pour couler des pièces de béton massives ou pour concevoir des ouvrages qui traversent des terrains gypsés ou anhydres. Il permet de valoriser certains gravats. A l'inverse, le ciment sulfo-alumineux, mis au point en Chine dans les années 1980, est à prise rapide. Il est utile pour des chapes de grandes dimensions ou des travaux hivernaux". En plus de ces différentes formules, on peut également évoquer l'introduction de fibres dans le ciment, afin d'obtenir un béton à hautes performances.
Et si le béton capturait du carbone ?
Cependant, le matériau présente un inconvénient majeur : la production du ciment est fortement productrice de CO2, à cause de l'étape de cuisson mais également à cause du phénomène de décarbonation du calcaire. A l'Ifsttar - Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - Jean-Michel Torrenti s'intéresse à ce phénomène : "D'habitude, on souhaite limiter la recarbonatation, même si elle est très lente. Car la recombinaison de CO2 et de la chaux amène une baisse du pH qui entraîne une corrosion des aciers d'armature". Mais la capture de gaz carbonique dans le béton pourrait tout de même présenter un avantage, en termes de réduction de son empreinte environnementale. Mieux, les granulats issus de déconstructions pourraient même voir leurs caractéristiques physiques améliorées par ce processus ! L'expert, qui travaille au projet "FastCar" visant à accélérer la carbonatation, précise : "Il faut combler la porosité pour réobtenir du calcaire à utiliser dans le béton en substitution de calcaire naturel". Il estime que jusqu'à 150 kg de CO2 pourraient être stockées dans une tonne de béton recyclé.
Isolant, énergétique, communicant…
Ludovic Broquereau, quant à lui, est directeur commercial & marketing de la startup Hikob, qui planche sur des bétons instrumentés. Car la fonctionnalisation du matériau constitue un autre axe important de recherches en France. Il dévoile : "Il s'agit d'embarquer des capteurs dans le béton, type accéléromètres, capteurs de contrainte… Ce qui permet d'obtenir, par exemple, un plancher communicant capable de discerner la chute d'une personne âgée de la chute d'un objet". Une possibilité déjà évoquée par le créateur d'une autre solution, 360 SmartConnect, lors d'un colloque au Cerib, qui précisait que la technologie employée nécessiterait de faire du "glanage énergétique" afin d'alimenter les capteurs noyés dans le matériau. A la Défense, la tour D2 contient, depuis 2013, tout un ensemble de puces RFID dans son béton auto-plaçant, qui assurent la traçabilité et la continuité de l'information. Autre fonction possible à intégrer : celle de production d'énergie décentralisée, en associant une vêture isolante en béton fibré et module photovoltaïque, comme dans le cadre du projet "Conipher".
Mais le président du comité Construction & Beaux-Arts, Bertrand Lemoine, rappelle : "Il faut de l'innovation mais elle doit conduire à des solutions industrialisables, économiques et déployables en masse. En plus de cette recherche pure, il faut du développement, pour étudier les usages et la mise en œuvre". Celui qui est également architecte et ingénieur insiste sur les aspects de rusticité et d'économie circulaire. Il s'interroge notamment sur l'efficacité de l'impression 3D, Graal de la construction, qu'il considère comme "une réponse possible". L'avenir du béton semble encore riche de défis à relever et de nouveautés à inventer.