La ville de Berlin a prévu une fin à l'urbanisme "sauvage" de la capitale: d'ici 2010, au nom de l'esthétique et du dynamisme démographique et économique, Berlin doit devenir une ville ordonnée et définie, débarrassée de ses structures chaotiques héritées de la RDA et de ses lieux désaffectés, nid de son identité.

Dans la nuit estivale, la silhouette fantomatique de la carcasse de l'hôtel Radisson, mis à nu par les bulldozers, a ravivé un temps le souvenir de son prestige d'antan, quand il était le complice muet des figures de la guerre froide. Puis, un matin, il avait disparu.

C'est en fait l'ensemble de la place où l'hôtel se dressait, la fantasque Alexanderplatz, surnommée l'Alex, symbole de l'architecture communiste, que la ville veut rayer de la carte pour y ériger des gratte-ciels modernes, jalonnés d'espaces verts.

"C'est pas possible!" s'exclame Franck, né à Berlin-est il y a 40 ans, "l'Alex, c'était la réalisation d'un rêve de modernité pour nous. Un luxe d'y habiter".

D'autres lieux poignants de cette ville hantée par l'histoire du XXe siècle sont menacés, surtout à l'est. Des espaces n'obéissant à aucune loi, où les Berlinois ont puisé une liberté et une énergie particulières. En tout, une superficie de 30 km2 est concernée par le "projet de reconvalescence".

"Nous voulons calquer le plan de la ville sur celui d'avant le bombardement dévastateur de 1945 : compléter les pâtés de maison, restructurer les espaces vides, retracer les axes", explique Margaritta Hubmer, historienne de l'art attachée à la municipalité. "Nous voulons embellir le cadre de vie pour attirer plus d'habitants, de commerces et d'entreprises", explique-t-elle.

Avec 3,4 millions d'habitants pour une superficie cinq fois supérieure à celle de Paris, Berlin souffre d'une démographie stagnante. Elle qui comptait sur son nouveau statut de capitale pour susciter un boom démographique doit assister à l'exode vers la banlieue de nombreux Berlinois de l'ouest que la division avait privé d'une telle perspective.
Le déménagement des centres de pouvoir a entraîné dans son sillage des firmes de la nouvelle économie mais pas les entreprises traditionnelles qui se sont contentées d'installer une "vitrine" à Berlin.

En cours de réflexion depuis plusieurs années, le projet, dont la maquette est exposée jusqu'en octobre au musée Spreespeicher, devra surmonter de nombreux obstacles pour se réaliser, comme la difficulté de trouver des investisseurs pour financer les constructions. Mais surtout, le projet divise les Berlinois et suscite un débat sur l'identité de la ville.

Certains mettent le holà à l'énergie déployée à effacer les stigmates de la division passée. Onze ans après la réunification, le Mur a été pulvérisé, le nom des rues changé, des statues à la gloire de héros communistes retirées...

Mitte, quartier du centre de l'ancien Berlin-est sacré refuge de la subculture en 1990, a été transfiguré. Les immeubles ont été rénovés, des cafés snobs-branchés ont ouvert, tandis que le Tacheles, un squatt mythique d'artistes, est devenu un musée pour touristes.
Seul survivant de la bohème balayée, "l'Eimer", une boîte de nuit grunge, a reçu l'ordre de déménager d'ici l'hiver.

C'est le même sort qui menace la nouvelle artère de la subculture berlinoise le long des rives de la Spree. Des boîtes de nuit-institutions comme "Maria" am Ostbahnhof, "Tempodrom" ou "l'Ostgut", qui occupent des immeubles désaffectés d'ex-RDA, ont été priés de chercher un nouvel espace pour faire place à trois bâtiments en verre destinés à abriter des bureaux.

Des projets qui donnent "la chair de poule" à Norbert, chef de l'Ostgut, dégoûté de "ces politiciens qui vantent la subculture berlinoise pour attirer les investisseurs, tout en signant son arrêt de mort".

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