ENTRETIEN. A l'occasion des trente ans du concours Europan, son président, Alain Maugard, nous détaille l'histoire et l'évolution de cette initiative. En parallèle, il évoque la transformation progressive du métier d'architecte à l'heure de la ville 'intelligente'.

C'est pour fêter les trente ans du concours Europan qu'un ouvrage est paru, sous la direction de son président Alain Maugard, et Chris Younès, membre du conseil scientifique. L'objectif ? Établir une forme de bilan de l'opération, et saisir les évolutions entourant le rôle de l'architecte-urbaniste dans la conception de la ville actuelle. Alain Maugard en dit plus à Batiactu.

 

Batiactu : Dans un premier temps, pourriez-vous nous rappeler les origines du concours Europan ?

 

Alain Maugard : Le programme d'architecture nouvelle (PAN), lancé dans les années 70, n'était initialement que français. L'idée à l'époque était de renverser la table par rapport aux programmes des Zones à urbaniser en priorité (Zup) et à la politique des grands ensembles. Il s'agissait d'une politique consistant à proposer des modèles standardisés pour chaque type de bâti : logements, bâtiments publics, piscines, collèges… Cette démarche entraînait un appauvrissement de l'architecture. Nous avons voulu renouveler l'approche avec ce PAN, qui était réservé aux moins de quarante ans. A la fin des années 80, nous avons ouvert le programme au niveau européen. Aujourd'hui un peu plus de quinze pays participent. L'esprit est toujours le même sur un point : le jury sélectionne le projet le plus créatif et imaginatif. J'ai coutume de dire qu'il s'agit du seul concours où le candidat peut estimer que la question a été mal posée.

 

Batiactu : C'est un concours qui concerne uniquement l'architecture ?

 

A.M. : Au départ, ce programme ne concernait que l'architecture ; mais à mesure que les années ont passé, et la société évolué, nous sommes allés de l'architecture vers la ville. Nous avons tous été persuadés que le problème n'était pas seulement de renouveler l'architecture, mais d'accrocher le bâtiment à son quartier, à son bout de ville. Il doit être en interaction. Il ne s'agit plus seulement d'architecture mais d'urbanité. Avec le recul, je constate ainsi qu'Europan était une forme de tête chercheuse de l'innovation prospective. C'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui.

 

 

Batiactu : Quelle est la problématique actuelle du concours ?

 

A.M. : Le sujet actuel est la ville productive : comment peut-elle créer des emplois territoriaux, dégager une forme d'autonomie territoriale, créer de la valeur ajoutée, faire reculer l'excès de mondialisation, profiter aux périphéries… Nous considérons de plus en plus la ville comme un être vivant. Nous ne pouvons plus mener des projets de la même manière qu'avant. Il faut agir sur le numérique de façon à ce que l'on donne un sens à la jonction numérique-ville durable. Nous passons de Darwin à l'épigénétique : l'homme peut provoquer cela, on teste, et on sélectionne ce qui marche. Ce métier d'architecture urbaine devra se préoccuper de la santé des êtres vivants que sont les villes. Nous devons avoir pour elles le même respect.

 

Pour la 15eme session du concours, nous avons choisi 9 sites français : Auby (59), Champigny (94), Floirac (33), Marseille (13), Pays de Dreux (28), Port Jérôme sur Seine (76), Rochefort (17), Romainville (93) et Saint-Omer (62). Cent soixante-six projets ont été rendus.

 

"Les architectes ont acquis une dimension nouvelle en intégrant les modes de vie."

 

Batiactu : Quelles évolutions avez-vous constaté dans le métier d'architecte, à travers le concours ?

 

A.M. : Tout architecte doit aujourd'hui être urbaniste, ne pas penser qu'à la morphologie du bâtiment mais à l'intelligence qu'on y met. Regardez comme l'architecture de bureau a évolué : on sait que la cafétéria y devient essentielle, ainsi que le patio central, voire les salles de réunions installées à l'extérieur... Les architectes ont acquis une dimension nouvelle en intégrant les modes de vie. Avant, il ne s'agissait que du dessin, aujourd'hui ils écrivent des scénarios sur des modes de vie. Cela enrichit considérablement ces métiers. Ce qui devient réellement imaginatif, c'est ce qui va au-delà du coup de crayon. Il s'agit simplement de rendre la vie plus agréable aux gens. C'est la rencontre de l'architecte et de l'urbaniste au cœur des transformations des modes de vie. Jamais l'architecture et l'urbanisme ne sont aussi puissants que lorsqu'ils accompagnent un changement de société. Aujourd'hui, nous vivons justement une rupture aussi forte qu'à la Renaissance avec l'invention de l'imprimerie.


Batiactu : Une idée qui peut être liée aux efforts faits actuellement pour redynamiser des centre-ville éteints...

 

A.M. : Devenons ainsi des médecins de la ville, en tenant en compte de la dimension mentale : il y a des villes qui 'ont la pèche', alors que d'autres n'ont 'pas le moral'. Sur les villes productives, il s'agit de trouver des solutions, y compris sur les villes en perdition. Nous recevons d'ailleurs davantage de candidatures sur les sites les plus difficiles. Le prochain thème d'Europan sera 'living cities', la ville comme être vivant. Une nouvelle alliance entre l'urbain et la nature, c'est une nouvelle idée qui apparaît, celle de biodiversité urbaine. La ville comme être vivant qui augmente la biodiversité.

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