CHANTIER. La géothermie connaît un renouveau en Île-de-France grâce à l'important potentiel de la nappe du Dogger, située à 1,7 km de profondeur. Trois communes de l'est parisien ont décidé d'exploiter ensemble cette ressource au moyen d'une centrale géothermale et d'un réseau de chaleur. Le forage du deuxième puits est actuellement en cours. Reportage.
La foreuse de 36 mètres de haut est à l'œuvre depuis le mois de mars 2015. Inlassablement, elle creuse le sous-sol de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pour atteindre la nappe du Dogger, à 1.700 mètres de profondeur où l'eau atteint une soixantaine de degrés. Le premier puits a déjà été réalisé tandis que le forage du second, à peine espacé d'une dizaine de mètres, est en cours. Xavier Thierry, le chef de projet au Sipperec (syndicat mixte d'Île-de-France), détaille les particularités du chantier : "Les deux puits sont situés sur la même plateforme mais les puits sont inclinés à partir de 400 mètres de profondeur et les têtes s'éloignent ainsi l'une de l'autre pour atteindre une distance de 1,5 à 2 km entre la tête de production [qui prélève l'eau chaude] et celle d'injection [qui réintroduit de l'eau refroidie]". Le but est de ne pas faire chuter la température du gisement au point de prélèvement.
Un véritable système circulatoire souterrain
Le chantier YGéo, implanté à proximité du centre commercial Domus, s'étale sur 4.200 m² et révèle une importante machinerie. Le "rig" présente une capacité de 200 tonnes au crochet pour soulever la tête de forage et les mèches creuses qui s'enfoncent dans le sol. "Nous utilisons de la boue argileuse additionnée de produits comme des lubrifiants pour refroidir l'outil", explique Xavier Thierry. "Cette boue est également utile pour remonter les débris et tenir les terrains dans lesquels on fore. Elle est envoyée en profondeur par des pompes de grande puissance, via les tubes creux, et elle remonte sur le côté des tiges", explique le spécialiste. Il compare le système fermé employé à un appareil circulatoire muni d'un cœur (les pompes) qui envoie le liquide vital dans les entrailles (de la Terre) avant de le récupérer pour le retraiter dans des organes filtrants, semblables à des reins.Découvrez le chantier en images dans les pages suivantes.
Un forage continu
La machine fonctionne 24 heures sur 24 mais ne creuse en fait que la moitié du temps, l'autre moitié étant utilisée à la prise du ciment sur les parois du forage, à la mise en place des outils ou à l'entretien du matériel. "Le chantier emploie 12 personnes en permanence mais, en tout, c'est une centaine d'emplois qui sont nécessaires", précise le chef de projet. Débuté en mars, le forage du doublet géothermique devrait être achevé au mois de juin prochain. La durée de vie de l'ouvrage sera d'une trentaine d'années avant qu'un "rechemisage" ne soit programmé, offrant 30 années supplémentaires en exploitation. La délégation de service public, confiée à Cofely Réseaux (Engie), court d'ailleurs sur la première tranche de 30 ans pour la réalisation et l'exploitation de la centrale reliée à un réseau de chaleur couvrant trois communes de Seine-Saint-Denis : Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Montreuil.
Une énergie renouvelable stable
La chaufferie géothermique, d'une puissance de plus de 10 MW, sera mise en service à l'été 2016. Dotée d'échangeurs et de pompes à chaleur, elle sera complétée par une chaufferie d'appoint au gaz. "Elle fournira plus de 100 GWh par an sur les trois communes, soit la consommation de 10.000 équivalents logements", précise le spécialiste du Sipperec. Elle fournira donc plus de 50 % des besoins en chaleur des abonnés du réseau, permettant d'économiser plus de 15.800 tonnes de CO2. Les canalisations s'étendront sur plus de 10 km et alimenteront des immeubles collectifs, des équipements publics (crèches, maternelles, groupes scolaires, collège, centre nautique) et des locaux industriels. Le président du Sipperec, Jacques Martin, explique : "Il s'agit du troisième projet de géothermie initié par le Sipperec en un an, après trente ans sans opération de ce type. Il est le fruit d'un travail entamé en 2011. La géothermie a de belles perspectives en Île-de-France et sa capacité devrait doubler d'ici à 2020. Car le prix de la chaleur est insensible aux variations de prix des énergies fossiles - gaz ou pétrole - et que son origine renouvelable permet de bénéficier d'un taux de TVA réduit à 5,5 %".
Un chantier à 35 M€
Le projet YGéo s'inscrit dans le Schéma Régional Climat Air-Energie et a été soutenu financièrement par le fonds chaleur de l'Ademe et la région Île-de-France, à hauteur de 6,5 M€ sur un investissement total de 35 M€. Le coût de l'entretien et du renouvellement programmé des installations, au cours de la délégation de service public, sera de l'ordre de 8,5 M€.
Une plateforme unique
Le "rig" (sorte de derrick) atteint les 36 mètres de haut. Le double forage qui est réalisé à mètres d'écart en surface, permet de simplifier le chantier, en réduisant les problèmes d'installation de chantier et de déplacement des équipements.
Technologie éprouvée
Les techniques employées ressemblent grossièrement à celles utilisées en exploration pétrolière. Mais les diamètres des tubes sont plus importants, tandis que les pressions sont bien inférieures.
Tête de puits
La première tête de puits, achevée. Elle est munie d'un dispositif destiné à éviter les remontées de gaz ou d'eau sous pression.
Traitement des boues
Les boues sont enrichies de certains produits, comme ici d'un lubrifiant destiné à faciliter le travail de la tête de forage.
Sous le rig
Au cœur de l'installation de forage.
Pompes
Les pompes (à droite) sont en action pour injecter la boue dans le puits.