POLÉMIQUE. Une matinée de débats consacrée au lien entre architecture et logement a notamment été l'occasion pour les architectes de défendre la loi Mop et s'inquiéter de dérives telles que l'explosion des Vefa en logement social et la multiplication des contrats de conception-réalisation.

"Il va falloir circonscrire les contrats en conception-construction qui sont un vrai massacre." C'est Francis Soler, grand prix national de l'architecture, qui l'a affirmé lors d'une matinée de débats consacrée au logement et à l'architecture, le 16 février 2018 à Paris. Les intervenants présents se sont tous inquiétés d'une baisse de la qualité architecturale dans les logements, ces dernières années, et comptent bien profiter des échanges autour de la loi Logement pour y remédier.

 

Le diagnostic a été posé par Laurence Duffort, directrice du CAUE de Paris. "La bonne santé apparente du secteur du logement cache une baisse de la qualité des opérations. Nous observons des dysfonctionnements." Parmi eux, donc, le recours plus fréquent aux contrats globaux, qui ont l'avantage d'apporter une meilleure maîtrise du budget, mais affaiblissent le rôle de l'architecte dans le processus.

 

Autre inquiétude : "Aujourd'hui, 50% de la construction des logements sociaux se fait en Vefa, par des acteurs du secteur privé qui vendent aux bailleurs sociaux", rappelle Laurence Duffort. "Cela permet de créer de la mixité, mais soulève des difficultés : les bailleurs sociaux perdent en compétence et perdent la maîtrise de la production. Et nous constatons une baisse de la qualité constructive au niveau des finitions."

 

Des Vefa situées "en dehors des règles de l'achat public"

 

Pour Denis Dessus, président du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa), ces Vefa se situent "en dehors des règles de l'achat public". "Nous avons des situations dans lesquelles ce sont les acheteurs publics qui sont mis en concurrence par les promoteurs, de façon occulte. Je ne suis pas contre les Vefa mais on est en plein dans des effet pervers. Il faut revenir à une proportion plus raisonnable." Le président du Cnoa a également rappelé à quel point les architectes tenaient à la loi Mop, menacée par les négociations entre l'État et les bailleurs sociaux. "Avant même le démarrage de la conférence de consensus, nous avons appris qu'il existait un protocole d'accord entre l'État et l'USH : ils s'étaient entendus pour assouplir les règles de la commande publique en remettant en cause la loi Mop, et cela préalablement aux discussions parlementaires. Nous aimerions être associés aux échangess pour que l'on sache exactement ce qui est reproché à ce texte ! La loi Mop permet de la souplesse, davantage que les Crem : si, par exemple, le maître d'ouvrage veut faire intervenir l'entreprise plus tôt dans le projet, il le peut à l'issue de l'avant-projet. Travaillons ensemble sur ces outils."

 

L'obligation du concours d'architecture, qui cristallise l'opposition entre les architectes et l'USH depuis quelques années, a également été défendue. Elle est vue ainsi comme un élément permettant d'accélérer le développement des projets. "Le concours est un moment d'intelligence collective", a assuré Serge Contat, président directeur général de la Régie immobilière de la ville de Paris, bailleur social. "Il facilite la prise de décision et permet d'aller plus vite." "Nous sommes allés faire des formations avec la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) auprès de bailleurs, sur le concours", abonde Denis Dessus. "Au bout de vingt-quatre heures, ils étaient enthousiastes car ils avaient compris que ce concours est un moyen de résoudre une bonne partie de leurs problèmes en amont. Il permet de mettre autour de la table la collectivité locale, l'association de locataires, et limite ainsi les risques de contentieux."

 

"Le Logement, c'est plus compliqué que la scission de l'atome", Frédéric Borel, architecte

 

D'ailleurs, pour le président du Cnoa, les progrès que le secteur pourrait réaliser pour construire mieux et moins cher, selon le slogan du Gouvernement, se feraient non pas sur la construction, mais sur la phase préparatoire et le foncier. "Dans le coût d'un projet, la construction représente 40%, et ce chiffre n'évolue pas, même avec les réglementations qui s'accumulent. Ce qui dilate les coûts, ce sont les 60% restants. De quoi s'agit-il ? Des marges, des frais commerciaux, du coût du foncier. Il faut des mesures sur le coût du foncier et arrêter de se focaliser sur l'acte de construire. Ce qui prend du temps, c'est surtout le montage des opérations et les recours." Le président du conseil de l'ordre ne désespère pas de voir le texte de la loi Logement s'améliorer durant les échanges. "En son état actuel, je ne vois rien qui permette de construire mieux et moins cher."

 

L'ensemble des intervenants se sont également entendu sur une chose : la complexité de la problématique Logement. "Est-ce qu'une loi logement va tout résoudre ? Je suis désolé, mais non. C'est une question totalement transversale", a par exemple affirmé Denis Dessus. L'architecte Frédéric Borel, grand prix national d'architecture, complète : "C'est un sujet formidable pour les architectes, parce que l'on invente l'enveloppe, le cadre de vie de nos concitoyens. Le logement, ce n'est pas seulement de la construction. Nous pourrions dire que c'est bien plus complexe que la scission de l'atome. Il s'y passe tellement de choses que nous ne maîtrisons pas..." Les architectes espèrent en tout cas garder, dans le cadre du projet de loi Elan, la maîtrise sur ce qui concerne la qualité architecturale.

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