DECRYPTAGE. Si l'aspect énergétique est une évolution en droite ligne des réglementations thermiques précédentes, l'aspect impact carbone est une totale nouveauté de la future Réglementation Environnementale 2020. La maîtrise de l'analyse du cycle de vie (ACV) des bâtiments est donc un enjeu fondamental sur lequel les orateurs d'EnerJmeeting sont abondamment revenus.
Philippe Pelletier, le président du Plan Bâtiment Durable, l'exprime très clairement : "Il y a eu des réglementations thermiques, mais la réglementation qui se prépare est d'une autre nature. Nous entrons dans un autre monde, celui de la réglementation environnementale. Elle sera basée sur la réglementation thermique mais incorporera des nouveautés consistant à considérer que le bâtiment produise de l'énergie à hauteur de sa consommation (ou presque) et de mesurer le poids carbone au cours de son cycle de vie, de sa construction à sa déconstruction, en passant par son exploitation".
Compte tenu de la durée de vie considérée, une période de référence de 50 ans, toutes les étapes n'ont pas le même impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Jean-Christophe Visier, directeur du département Energie au CSTB, détaille : "Le logement représente, à lui seul, 27 % de l'empreinte CO2 en France, devant même le transport (25 %) ! Si l'on ajoute le tertiaire, on monte à 40 % ! Il y a donc une responsabilité collective à agir (…) Le sujet premier est l'exploitation des bâtiments existants, avec la question de la rénovation, puisqu'on dépasse les 4 tonnes de gaz carbonique par mètre carré. Mais, dans l'empreinte carbone d'un édifice, les déplacements sont également très importants, et se trouvent liés à l'urbanisme". Pour les constructions neuves, en revanche, à l'avenir les deux phases de construction et d'exploitation seront équivalentes, avec 0,5 tonne CO2/m².
L'expert du CSTB invite dès lors à se poser les bonnes questions : quelles surfaces seront réellement nécessaires, notamment en ce qui concerne les espaces qui peuvent être mutualisés entre différents bâtiments aux usages différents (parkings, salles de réunion) ? Ensuite, où est-il judicieux de s'implanter ? Car il est plus simple de profiter de réseaux déjà existants que de les faire construire, ou qu'il est nécessaire de prendre en compte le renforcement d'un sol de moindre résistance avant de bâtir. Des décisions qui influent sur l'impact carbone final.
La matière qu'il faudra employer en grande quantité, c'est la matière grise",
Jean-Christophe Visier, CSTB
La question même de l'intérêt de la construction doit être posée : vaut-il mieux construire ou réhabiliter ? "Certes, le neuf sera toujours plus performant qu'une réhabilitation, en termes de performances pures. Mais, avec une analyse du cycle de vie cette perspective change si l'on conserve le gros oeuvre", prévient Jean-Christophe Visier. Ensuite, quelles solutions architecturales et techniques adopter, matériaux renouvelables comme le bois, recyclables comme l'acier, ou à empreinte carbone, comme le béton ? Là encore, l'expert assure que la situation n'est pas fermée : "La course est lancée entre les techniques, et nous verrons sans doute arriver des assemblages intelligents entre différents matériaux. Mais la matière qu'il faudra employer en grande quantité, c'est la matière grise".
De même, pour l'énergie choisie, toutes n'auront pas le même impact. "Electricité nucléaire ou d'origine renouvelable, réseau de chaleur... Les impacts sont différents, mais une chose est sure, si l'on continue d'employer des énergies fossiles ce doit être à dose homéopathique. Et là aussi, il faut considérer le cycle de vie dans son entier". Anne-Sophie Perrissin-Fabert souligne que l'association HQE avait lancé, il y a 10 ans, un premier appel aux éditeurs de logiciels pour une solution d'analyse du cycle de vie. Les pionniers sont donc déjà au travail.
De l'utilisation des matériaux à bon escient
Dans le cadre de l'expérimentation "E+C -" il faut noter que deux niveaux d'exigence carbone existent. Emmanuel Acchiardi, de la DHUP, détaille : "Le premier niveau n'exclut aucun mode constructif, ni aucun vecteur énergétique. Il est atteignable par les constructions actuelles. Le second niveau, en revanche, est beaucoup plus ambitieux, et impose de faire des efforts. Et c'est ce seul second niveau qui permettra d'octroyer un bonus de constructibilité". Or, ce niveau sera légèrement plus complexe à atteindre pour certaines solutions constructives carbonées. D'après les calculs présentés par Nathalie Tchang (bureau d'études Tribu Energie), le choix du type de structure influera les résultats, défavorisant particulièrement le béton cellulaire (237 kg CO2/m² sur la durée de vie). Les autres bétons se situent dans une moyenne de 150-170 kg CO2/m² environ, qu'il s'agisse de béton banché, de blocs, de poutrelles-hourdis, de prédalles et rupteurs ou de poteaux-poutres. En revanche, les structures à ossature bois ou en CLT émettront 100 kg CO2/m² sur la même durée, voire moins. La spécialiste note que l'augmentation du niveau d'isolation aura un faible impact sur la quantité de gaz émis par rapport à l'énorme gain attendu en termes de performance. " Dans le secteur tertiaire, ces conclusions sont différentes, car le poids des équipements climatisation-ventilation-chauffage est beaucoup plus lourd", tempère-t-elle. Le niveau Carbone 2 du label "E+C-" sera donc beaucoup plus difficile à atteindre pour les immeubles de bureaux. L'association BBCA déplore toutefois cette classification en deux niveaux carbone : "Nous regrettons le manque d'ambition affiché ; le premier niveau du label est trop peu exigeant !", déclare Hélène Genin.
Emmanuel Acchiardi (DHUP) conclut : "Il faut une montée en compétence sur l'analyse du cycle de vie, en fonction des besoins de chacun, maîtres d'ouvrage, maîtres d'œuvre, concepteurs et éditeurs de logiciels". Un cheval de bataille pour Alain Maugard qui souhaite ardemment cette montée en compétence de tous les acteurs de la filière. Il considère que l'expérimentation "E+C-" permettra même de distinguer les meilleurs élèves de la classe, par leur volontarisme : "Nous avons des progrès à faire ensemble, solidairement, tous les acteurs du bâtiment. Il faut que nous soyons sérieux".