JUSTICE. La cour d'Appel de Paris vient d'annuler, le 15 septembre 2017, les mises en examen de responsables nationaux dans deux dossiers emblématiques de l'amiante : Jussieu et les chantiers navals Nomed de Dunkerque. Les victimes s'insurgent.
La cour d'appel de Paris a de nouveau annulé, vendredi 15 septembre, les mises en examen de responsables nationaux dans deux dossiers emblématiques du scandale sanitaire de l'amiante, celui du campus parisien de Jussieu et celui des chantiers navals Normed de Dunkerque (Nord). Les neuf protagonistes avaient obtenu l'annulation de leur mise en examen par la cour d'appel de Paris le 4 juillet 2014, une décision invalidée par la Cour de cassation le 14 avril 2015 qui avait renvoyé les dossiers devant la chambre de l'instruction.
"Cette nouvelle décision confirme malheureusement l'apathie des juges à vouloir juger cette catastrophe sanitaire sans précédent", a relevé François Desriaux, vice-président de l'Andeva, l'association nationale des victimes de l'amiante, auprès de l'AFP. Après plus de vingt ans d'enquête, "il est tout simplement scandaleux que cette affaire se termine par la mise hors de cause de tous ceux qui étaient chargés du système de veille sanitaire", estime pour sa part Michel Ledoux, avocat de plusieurs centaines de victimes de la fibre cancérogène. Il fait le point de la situation pour Batiactu.
Quel était l'objet de la décision des juges aujourd'hui ?
"Dans les deux dossiers étaient mis en examen des hauts fonctionnaires, décideurs publics, issus notamment du ministère du Travail, de l'Industrie, et aussi un professeur de médecine et quelques lobbyistes membres du Comité permanent amiante (CPA)", nous explique l'avocat. "Ils avaient contesté leur mise en examen, et la chambre de l'instruction a décidé ce matin de les annuler." Il s'agissait de soupçons d'homicides et blessures involontaires dans le cadre de l'enquête sur la recherche d'éventuelles responsabilités nationales dans la gestion du dossier de l'amiante.
Pour quelles raisons les mises en examen ont-elles été annulées ?
"La chambre de l'instruction s'est basée sur trois arguments", nous explique Michel Ledoux. "Elle a considéré que les personnes concernées n'étaient pas décisionnaires. Elle a aussi avancé que la doctrine 'd'usage contrôlé de l'amiante' était admise par tout le monde à l'époque [années 70-80, NDLR], notamment au niveau européen. Enfin, elle estime qu'à l'époque des faits, les mis en examen n'avaient pas de certitude quant aux dangers de l'amiante."
Quel espoir substite-t-il pour les victimes de voir un jour des condamnations ?
Les victimes vont renvoyer l'affaire en Cassation, dans les cinq jours. L'avenir des dossiers pénaux de l'amiante dépendra aussi du choix des juges de prononcer, ou non, une ordonnance de non-lieu sur ces dossiers pénaux de l'amiante. Cette voie était envisagée il y a quelques mois, et Michel Ledoux semble plutôt pessimiste aujourd'hui. "Nous avons fait parvenir aux juges nos mémoires la semaine dernière pour tenter de les convaincre de ne pas choisir cette voie", nous explique-t-il. "Mais ils vont probablement rendre une ordonnance de non-lieu. Et cela sera reparti pour un tour." La procédure continuera, mais pas éternellement, puisqu'après vingt ans d'enquête les victimes sont presque arrivées au bout des recours juridiques dont ils disposent. "Nous sommes dans la dernière ligne droite", explique Michel Ledoux. "Dans quelques mois, nous aurons le fin mot de l'histoire. Si le non-lieu est prononcé, on pourra dire que l'affaire de l'amiante aura été une catastrophe sanitaire, puis une catastrophe judiciaire..."
Le Comité permanent amiante (CPA), au centre de l'affaire
Plusieurs des personnes qui étaient mises en examen étaient membre du Comité permanent amiante (CPA), une structure qui a existé entre 1983 et 1996. D'après l'imposant rapport du Sénat, datant de 2005, sur l'affaire de l'amiante, cette structure, qui réunissait tous les acteurs du secteur de l'amiante, a été un "lobby remarquablement efficace" qui a "anesthésié" les pouvoirs publics. "Pour la mission, il est indéniable que le CPA a joué un rôle particulièrement ambigu dans cette affaire et qui ne saurait être réduit à celui d'un simple promoteur de la prévention en matière de sécurité au travail", peut-on lire notamment dans le rapport.
Plusieurs des personnes qui étaient mises en examen étaient membre du Comité permanent amiante (CPA), une structure qui a existé entre 1983 et 1996. D'après l'imposant rapport du Sénat, datant de 2005, sur l'affaire de l'amiante, cette structure, qui réunissait tous les acteurs du secteur de l'amiante, a été un "lobby remarquablement efficace" qui a "anesthésié" les pouvoirs publics. "Pour la mission, il est indéniable que le CPA a joué un rôle particulièrement ambigu dans cette affaire et qui ne saurait être réduit à celui d'un simple promoteur de la prévention en matière de sécurité au travail", peut-on lire notamment dans le rapport.
Le Comité anti-amiante de Jussieu a réagi vivement à la décision des juges. "Les dossiers Jussieu et Normed sont les deux seuls dossiers où sont instruites les véritables responsabilités de la catastrophe sanitaire de l'amiante : le fait que les pouvoirs publics ont mené, en toute connaissance de cause, une politique conduisant à des dizaines de milliers de morts", commence par rappeler l'organisation. "Ce jugement est une manifestation supplémentaire de la volonté générale des pouvoirs publics et de l'institution judiciaire de se débarrasser à tout prix de l'affaire de l'amiante. La raison est claire : on ne peut juger l'affaire de l'amiante sans mettre en cause des décideurs. En France, on souhaite limiter la mise en cause des responsabilités à celle des exécutants. Pas question de mettre en cause des décideurs."