L'Assemblée nationale a refusé, mercredi soir, de créer une commission d'enquête sur les conséquences de l'exposition professionnelle à l'amiante. Parallèlement, un rapport de la Cour des comptes montre que les budgets des fonds d’indemnisation des victimes ne cessent de croître.

On semble aller à reculons dans la réflexion sur les conséquences de l’exposition professionnelle à l’amiante. Dernier exemple, jeudi matin, les copropriétaires de la tour Montparnasse, qui ont refusé de participer à une réunion sur le problème de l'amiante dans cet immeuble, en dénonçant «un environnement partisan». Au bénéfice de leur boycottage, les propriétaires ont aussi dénoncé une «démarche (qui) conduirait à présenter l'ensemble immobilier de la tour Maine-Montparnasse comme l'illustration emblématique d'un retard sur le désamiantage en France.
Retour sur la décision prise la veille par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale rejetant les trois demandes de création de commission d’enquête sur les conséquences sanitaires, sociales et économiques de l’exposition professionnelle à l’amiante.
Ces trois propositions avaient été déposées séparément par les groupes socialiste et communiste et par le député UMP Jean Lemière.
La décision de rejet a été immédiatement dénoncée par l'opposition, qui a fait état d'une «pression extrêmement forte» exercée sur certains députés UMP pour qu'ils se prononcent contre. Le rejet d'une commission d'enquête sur l'amiante «est une insulte aux victimes et un déni de justice», s'est insurgé le socialiste Jean-Marie Le Guen, dans un communiqué. «Les progrès encore à réaliser pour améliorer l'aide aux victimes, les conséquences que l'on doit en tirer sur l'avenir de la santé au travail, justifiaient pleinement la mise en oeuvre d'une commission d'enquête parlementaire», a-t-il fait valoir. De son côté, le communiste Maxime Gremetz s'est dit «attristé», ajoutant : «Cela ne grandit pas l'Assemblée».
Devant l'émoi suscité par la décision de la commission, son rapporteur, l'UMP Maurice Giro, a diffusé un communiqué pour préciser «qu'il n'a pu que donner un avis défavorable» aux propositions déposées. «En effet, le règlement de l'Assemblée interdit la création de commissions d'enquête lorsque des procédures judiciaires sont en cours. Or, plusieurs procédures sont actuellement examinées par les tribunaux», a-t-il justifié. Se disant «conscient des inquiétudes entourant les questions liées à l'amiante et aux éthers de glycol», il a ajouté qu'il proposait la création d'une mission d'information «afin d'approfondir ces sujets».
Pour se justifier, le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, a personnellement tenté d'apaiser les esprits en publiant en début de soirée un communiqué pour souligner que les députés UMP «ont toujours porté la plus grande attention aux drames des victimes de l'exposition professionnelle à l'amiante». Il a précisé qu'il soutenait l'initiative de créer une mission d'information sur l'amiante et a dit «se tenir prêt à recevoir les représentants des victimes».
Une sixième «marche des veuves de l'amiante» a justement été organisée mercredi autour du palais de justice de Dunkerque pour réclamer le jugement au pénal des employeurs de ces salariés morts de maladies professionnelles liées à l'amiante. Plusieurs centaines de personnes, 450 selon la police, dont quelque 200 «veuves de l'amiante», ont participé à la manifestation à laquelle a participé le député-maire socialiste de Dunkerque, Michel Delebarre.
Par ailleurs, douze anciens salariés de la Direction des constructions navales (DCN), à Brest, ont porté plainte contre X au pôle santé du tribunal de Paris pour coups et blessures involontaires et non-assistance à personnes en danger, a fait savoir l'association de défense des victimes de l'amiante du Finistère. L'Andeva (Association nationale des victimes de l'amiante) revendique désormais 15.000 adhérents.
Le juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, chargée d'instruire le dossier des contaminations par l'amiante à l'université Paris VI-Jussieu, a entamé ses auditions mercredi, avec la convocation du président de l'université Gilbert Béréziat. Plusieurs mises en examen pour mise en danger de la vie d'autrui ont été décidées au début de l'année dans le cadre de ce dossier, qui piétinait depuis une dizaine d'années.
Un rapport de la Cour des comptes, révélé par Le Figaro, relève l'augmentation exponentielle des maladies professionnelles liées à l'amiante. Selon ce rapport, les pathologies provoquées par ce matériau massivement utilisé dans la construction jusqu'en 1977 représentaient moins de 8% des maladies professionnelles en 1993 mais 14% en 2002.


Indemnités à la hausse

L'indemnisation des victimes de l'amiante s'avère de plus en plus coûteuse pour la Sécurité sociale. Deux fonds ont été créés à cette fin par l’Etat, le Fiva (Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante) et le Fcaata (Fonds de cessation d'activité des travailleurs de l'amiante). En 2005, 1,4 milliard d'euros (contre 1,1 milliard en 2004) devraient être versés pour permettre la retraite anticipée à partir de 50 ans des salariés exposés à ce matériau. Selon un rapport de la cour des Comptes montre que les budgets de ces deux fonds ne cessent de croître. En un an et demi de fonctionnement, le Fiva a reçu plus de 11.000 demandes, avec un rythme actuel de 700 par mois. Les sommes versées par le Fiva aux victimes, proviennent du budget de l’Etat et de la Sécurité sociale, qui ont mis à sa disposition 986 millions d’euros à la fin 2004. Pour 2005, 645 millions sont prévus. Le stock de dossiers à traiter s’est accumulé en raison des lenteurs de la mise en place de fonds, relève le rapport. Il est aujourd’hui stabilisé à 6.000 dossiers.
A la fin 2004, le fonds a effectué 19.000 paiements pour 544 millions d’euros. Le décret de création de l’établissement public prévoyait qu’il se retourne contre les entreprises pour récupérer une partie des fonds, notamment à partir du moment où les employeurs ont été déclarés «responsables pour faute», mais il n’a pas fait du recours contre tiers d’une «priorité», déplore la Cour. Enfin, les rapporteurs demandent une unification de la pratique des tribunaux en matière d’indemnisation, sachant que les victimes ont toujours le choix, soit de s’adresser au Fiva, soit d’avoir recours à la justice ; ils souhaitent la désignation d’une cour d’appel unique s’ils estiment que les propositions du fonds sont insuffisantes.
Concernant le Fcaata, instrument sans personnalité juridique créé en 1997 et alimenté en partie des recettes sur les taxes imputées au tabac, ses dépenses devraient atteindre 767 millions d’euros cette année contre 660 millions en 2004. Ouvert à l’origine aux malades ayant travaillé dans un établissement de fabrication contenant de l’amiante, il a été progressivement élargi et concerne aujourd’hui 23.652 allocataires.

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