ANALYSE. Le gouvernement français souhaite que la reprise des chantiers de BTP accélère, expliquant qu'ailleurs en Europe, la relance est beaucoup plus rapide. Dans les faits, la situation est très hétérogène à travers le continent, comme le souligne une enquête de la FNTP, mise à jour le 30 avril.
Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire souhaite que la reprise du BTP aille plus vite. Il l'a encore clairement exprimé ce 4 mai 2020, dans la matinale de France Inter : "Les secteurs d'activité dans lesquels l'économie a été à l'arrêt, alors même qu'ils étaient encore ouverts, doivent pouvoir redémarrer le plus vite possible. Je pense notamment au bâtiment et aux travaux publics, aujourd'hui à l'arrêt à plus de 80 % alors qu'il tourne beaucoup plus fort en Allemagne, en Italie ou dans d'autres pays européens". La situation est-elle véritablement plus favorable chez nos voisins ? Le service des affaires européennes de la FNTP s'est posé la question, et a mis à jour un document se penchant sur chaque pays européen.
Nicolas Gaubert, directeur adjoint aux affaires européennes à la FNTP contacté par Batiactu, fait avant tout état de l'hétérogénéité des situations. "La poursuite de l'activité du secteur a été liée aux mesures gouvernementales dans chaque pays", insiste-t-il. "Si le confinement était strict, l'arrêt était d'autant plus fort. Lorsqu'il n'y avait que quelques restrictions, comme en Suède, en Bulgarie ou en Roumanie, par exemple, l'activité s'est poursuivie plus facilement."
Difficile reprise en Italie et en Espagne
En Italie, à la mi-avril, 85% des chantiers étaient fermés. Pourtant et malgré la crise sanitaire particulièrement violente dans le pays, les travaux de génie civil, hydrauliques, ou les travaux publics étaient toujours autorisés. Le chantier du nouveau pont de Gênes s'est d'ailleurs poursuivi durant cette période. C'est seulement à partir du 4 mai 2020 que l'ensemble du secteur de la construction est autorisé à reprendre.
En Espagne, durement touché par l'épidémie de Covid19 également, l'activité du secteur de la construction n'a été suspendue qu'à partir du 29 mars, entraînant la paralysie de 1.900 projets. Deux semaines plus tard, le BTP était autorisé à reprendre le chemin des chantiers, si les mesures de distanciation sociales étaient mises en œuvre. Cependant, "les conséquences de la crise sanitaire en Espagne et en Italie demeurent importantes et continuent de restreindre la poursuite de l'activité, malgré une levée progressive des contraintes réglementaires", observe Nicolas Gaubert.
Situation loin d'être idéale en Allemagne
A l'inverse, en effet, peu de chantiers ont été interrompus en Allemagne. Mais la construction rencontre malgré tout des difficultés qui ralentissent son activité, comme des problèmes d'approvisionnement ou des arrêts maladie. 60% des entreprises estiment être touchées par des restrictions liées au virus.
Autre exemple aux Pays-Bas. A la mi-avril, 15% des entreprises avaient complètement arrêté leur activité, 35% de façon partielle et 50% des entreprises poursuivaient normalement. Mais l'absentéisme avait malgré tout augmenté de 30% dès le mois de mars, et même de 60% dans les PME.
Stratégies de déconfinement et recommandations
Partout depuis la mi-avril, il est vrai que les choses évoluent, au gré de l'annonce des stratégies nationales de déconfinement. Mais plus que ces plans, "le principal élément déclencheur pour la reprise de l'activité est, en beaucoup d'endroits, la publication de recommandations sanitaires", soulève Nicolas Gaubert.
Comme le guide de l'OPPBTP en France, la pratique des protocoles sanitaires s'est en effet généralisée. Et comme c'était le cas du BTP français, leur publication a pu être un préalable à la relance. Ainsi, en Belgique, "l'accord obtenu il y a quelques jours avec certaines organisations syndicales a été présenté comme le levier permettant la reprise". Ce même type de stratégie n'a cependant pas fonctionné en Italie, puisque malgré la signature de protocoles dès la mi-mars, la situation reste toujours compliquée à ce jour.
D'autres initiatives intéressantes ont été menées. Comme en Irlande, par exemple, où la fédération a réalisé un guide sur l'utilisation du numérique et du BIM pour adapter les pratiques au sein de l'entreprise, dans ce contexte de crise sanitaire.
Des plans de relance commencent à émerger
Dans la plupart des pays d'Europe, les fédérations locales réclament des plans de relance pour faire face à la crise, intégrant des investissements massifs dans les infrastructures et la construction de façon générale. Certaines mettent aussi en avant la nécessité d'imaginer des plans résolument tournés vers la transition écologique, comme au Danemark, en Italie, ou encore au Portugal.
Les États sont encore peu nombreux à avoir annoncé leurs plans, certains les prévoyant pour l'automne, comme ce devrait être le cas aussi en France. La République tchèque et la Slovaquie se sont cependant déjà clairement exprimées en faveur de plans axés sur les infrastructures.
Par endroits, les gouvernements ont évoqué le lancement de grands projets. C'est le cas au Danemark : le 24 avril a ainsi été annoncé la réalisation du plus long tunnel ferroviaire et routier immergé au monde, le Fehmarn Belt, reliant le nord de l'Allemagne à l'île danoise de Lolland. Les travaux commenceront le 1er janvier 2021, pour ce projet estimé à 7Mds€. Au même moment, en Hongrie, le gouvernement a signé un accord de prêt pour la construction de la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade, dont le chantier va ainsi pouvoir débuter. Aux Pays-Bas, le budget consacré à la maintenance des infrastructures a d'ores et déjà été augmenté de 100M€ cette année, et bénéficiera d'une rallonge de 165M€ en 2021. Par ailleurs, 150M€ supplémentaires seront également disponibles pour les voies navigables cette année.
De nombreux obstacles
Pour autant, la reprise n'est jamais réellement facile et les obstacles demeurent nombreux. En Allemagne, un quart des entreprises sont confrontées à des annulations de projets. Et 45% s'inquiètent d'une baisse de la demande ou de l'absence d'appels d'offres, notamment de la part des communes. Constat que partagent de nombreux professionnels en France.
Par ailleurs, l'épidémie n'a pas évolué de la même façon partout sur le territoire européen. "En Europe de l'Est, notamment, connaît un peu de retard sur le développement de la pandémie. La capitale de la Bulgarie, Sofia, est confinée depuis le 17 avril seulement, pour une durée indéterminée", remarque Nicolas Gaubert.
Par ailleurs, la fermeture des frontières pose un autre problème : celui de la mobilité des travailleurs. Ce frein, juge-t-il, pourrait avoir un impact conséquent, et constituer un "sérieux obstacle à la poursuite de l'activité dans les semaines qui viennent" dans certains pays. La partie n'est donc pas encore gagnée.
Retrouvez la situation pays par pays sur le site de la FNTP.