Près de la moitié des Français devrait être concernée par le problème de l'accessibilité à court terme, rapporte Jean-Charles de Vincenti, Inspecteur général de l'Equipement.

Lors de son discours du 14 juillet dernier, le président Jacques Chirac désignait la situation de handicap comme l'un des trois grands chantiers de la France. L'Europe a choisi 2003 comme l'année du handicap. Que peut-on attendre d'une année si dense pour les personnes handicapées ?

Le président est très sensible au problème des handicapés. Dès 1967, en Corrèze, il s'était inquiété du retard de la France sur ce point. A Paris, en 1983, il avait créé le premier poste d'adjoint au maire aux personnes handicapées, poste qui n'a depuis jamais été remis en question. Quant au ministre de l'Equipement, Gilles de Robien, il est clairement à l'unisson des préoccupations du Président. Son premier contact avec les membres du ministère, à son arrivée, a été une réunion avec les " correspondants accessibilité ", techniciens présents dans chaque Direction départementale de l'équipement. Alors, il est clair qu'il y a une volonté politique forte, et que cela doit déboucher sur des engagements concrets.

Plus précisément, au-delà de cette volonté, de cette actualité du sujet et de l'intérêt qu'il suscite désormais dans la société, des mesures sont-elles envisagées ?

C'est annoncé, regardez le plan Ferry présenté cette semaine ! Mais le problème de l'accessibilité est très complexe. En premier lieu, il relève de la culture. En France, on ne fait que commencer à s'y intéresser, et les industriels, les bâtisseurs de tous niveaux n'en voient pas toujours très bien le sens. L'idée de handicap est encore trop perçue comme ne recouvrant que la réalité de la chaise roulante, soit 0,5% de la société. Ce qu'il faut faire, c'est mettre en avant que la juste notion à avoir en tête est celle de " situation de handicap ", infiniment plus large, plus vraie et plus humaine. Les mal-voyants et les mal-entendants en font partie, évidemment. Mais il faut penser également aux personnes âgées qui ont du mal dans les escaliers, tout comme ceux qui ont déjà été victimes d'attaques cardiaques, qui souffrent de difficultés respiratoires, ou encore les femmes enceintes. Si l'on compte tout ceux qui peuvent se trouver dans une réelle situation de handicap, c'est 35% de la société française qui est concerné, et cela va en croissant, avec le vieillissement de la population. Avec de tels chiffres, on comprend que ce sujet soit une priorité

La situation a donc changée, depuis 30 ans, ainsi que le regard. Mais pas la loi, qui souffre de lacunes et de dispersements. 2003 sera-t-elle l'année du changement ?

Je le crois. En France, on souffre de cette tendance à l'empilement des lois. Il faut absolument toiletter la loi du 30 juin 1975. A l'époque, c'était une loi d'avant-garde, mais elle n'a pas eu tous les développements souhaités. Cette année doit être l'occasion d'affirmer notre volonté de progresser. Jusqu'à présent, face aux exemples nordiques, on se donnait bonne conscience en pensant aux pays du Sud. Mais ils nous ont rattrapé, et dépassé. De Barcelone à la Grèce, les infrastructures se sont développées. En Australie ou en Suède, il ne viendrait pas à l'idée d'un architecte de livrer un ERP qui ne soit pas accessible, tandis qu'en France, on at inauguré la nouvelle gare d'Avignon, que j'ai découverte, et qui est loin d'être parfaitement accessible. Or, ce bâtiment est conçu pour durer, au moins 70 ans. Il fallait résoudre ce problème d'accessibilité dès la conception. C'est cela aussi le développement durable. Alors, on s'oriente vers une refonte de la loi de 1975. Un projet de loi sera déposé en Conseil des ministres en juin 2003.

Quelle serait l'orientation en matière de logement collectif : le contrat ou à la contrainte ?


Il existe deux écoles sur ce sujet. L'une souhaite la mise en place de quotas de logements adaptés, partant du principe que tous les logements seraient accessibles, disons 10%, et qui seraient attribués en priorité aux personnes handicapées. Cette première école est ancienne et bien défendue par les promoteurs et les architectes. La deuxième ne veut pas de ségrégation. Elle souligne qu'avec les quotas, les personnes handicapées ne pourrait aller rendre visite à un parent, un ami, dont le logement ne serait pas adapté. Et dans cette logique tous les logements devraient être adaptés.

Vous avez dit que le premier problème était culturel. Que peut-on contre cela ?

C'est vrai que les Français n'ont pas la culture du handicap. Nous avons commencé à nous préoccuper des personnes handicapées en 1918, avec les gueules cassées. Alors ce qu'il faut, c'est communiquer, sensibiliser. Il faut démontrer que ce n'est pas un problème marginal mais qu'il nous concerne tous, car nous avons tous autours de nous des personnes qui sont en situation de handicap : un vieux parent, une femme enceinte de cinq mois, un mal-voyant ou un mal-entendant. Il faut donner des chiffres. 35% de la population est concernée, selon une étude réalisée par l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France en 96/97, et confirmée par l'INSEE en 2000. Et puis, ce que l'on fait pour les personnes handicapées, on le fait aussi pour nous, pour le confort de tous aujourd'hui et pour notre sécurité demain.

La bataille des chiffres sera-t-elle suffisante ?

Non, c'est une arme parmi d'autre. Mais peut-on vraiment effectuer un contrôle constant dans la construction, imposer des modifications' Oui, bien sûr, mais il vaut mieux que les décideurs, les constructeurs optent d'eux-mêmes pour une telle mesure. D'où l'information, la sensibilisation et la formation. Dès à présent, le gouvernement réfléchit à mettre en place un module de formation pour les architectes et les ingénieurs. Le ministre de l'Equipement va constituer une valise pédagogique pour sensibiliser et former les agents de la Dde.

Au final, c'est une question d'argent. On parlera de surcoût architectural, voire de contraintes supplémentaires dans l'acte de création.

Ceux qui le disent, et qui le diront, se trompent. Sur le surcoût, il faut être clair. Un bâtiment accessible, et adaptable, est peut-être plus cher à la conception, mais l'expérience montre assez que c'est l'exception d'un tel acte qui le rend cher. Si tout devenait accessible, le prix ne serait pas plus élevé. Quant aux contraintes, je crois bien davantage que l'accessibilité peut être une source d'inspiration pour les architectes. Et puis, il faut être honnête. On y viendra à l'accessibilité, alors il vaut mieux que l'architecte conçoive un bâtiment accessible, plutôt que l'on vienne défigurer son œuvre avec un rajout.

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