Jean-François Susini, président du Conseil National de l'Ordre des Architectes a de quoi être satisfait, même s'il précise que " tout reste encore à entreprendre ". En effet, alors que, pour beaucoup, la fameuse réforme de la loi de 1977 sur l'architecture était enterrée, mercredi 6 février, Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, a présenté en Conseil des ministres une "communication sur l'amélioration de la qualité architecturale du cadre de vie des Français".
Jean-François Susini commente ce texte qui servira de base à la future réforme de la loi sur l'architecture.

Dans ce texte, Catherine Tasca a défini un certain nombre d'orientation "pour améliorer la qualité des constructions et des espaces, la qualité des réhabilitations et la modernisation des professions". Qu'en pensez-vous ?

Tout d'abord, à la différence des projets de lois préparés auparavant par le seul ministère de la Culture, cette communication en Conseil des ministres marque une étape importante dans la mesure où elle est le résultat d'une concertation interministérielle préalable. Pour ceux qui ont annoncé à grand renfort de communiqués la mort de ce projet de réforme, la déception sera certainement grande.

Bien sûr, ce texte peut paraître générique et en retrait par rapport aux documents très détaillés qui avaient été diffusés jusqu'alors par la Direction de l'Architecture, cependant il contient l'essentiel des grands principes pour lesquels nous avons toujours plaidé, notamment ces cinq points fondamentaux :
- L'abaissement du seuil de recours obligatoire à un architecte.
- L'adéquation entre la réalité du projet et les missions de l'architecte qui devront être réputées globales.
- La prise en compte de la réhabilitation par l'instauration de diagnostics architecturaux et techniques, préalablement à toute opération.
- Les nouvelles souplesses envisagées pour les sociétés d'architecture, même si ces dispositions pouvaient rentrer dans d'autres cadres législatifs comme les mesures urgentes à caractère économique et financier (Murcef).
- Enfin la rénovation de l'Ordre qui vient coiffer en point d'orgue l'ensemble de l'édifice réglementaire.

De là cependant à croire que tout est acquis, il y une marge. Car en réalité après quatre années de discussion entre le ministère de la Culture, les architectes et les différents acteurs de la construction, tout reste encore à entreprendre. Dans les concertations et consultations qui vont s'engager, les représentations d'architectes devront faire preuve plus que jamais d'unité de vue et d'esprit et redoubler de force de conviction auprès des autres interlocuteurs. C'est à cette tache que se sont déjà attelé l'Ordre, l'Unsfa et le Syndicat d'architecture.


Je reviens sur la notion du seuil qui a fait couler beaucoup d'encre, notamment en raison de la vive opposition des constructeurs de maisons individuelles. Pourquoi être attaché à ce fameux seuil de 20 m2 alors que - ce n'est un secret pour personne - les architectes se montrent relativement peu intéressés par le marché de la maison individuelle ?

Il est peut-être vrai que certains architectes ne s'intéressent pas spécifiquement à la maison individuelle, mais ce n'est nullement une règle générale. Je pense à certains confrères en régions pour lesquels ce type de projet représente une part importante de leur intervention dans un secteur où ils sont confrontés à une concurrence qui n'a aucune obligation de respecter les règles auxquelles les architectes sont soumis.

Cependant, à la différence de tous les autres intervenants (constructeurs de maisons individuelles, et bâtisseurs de tous ordres) nous n'avons jamais envisagé la question des seuils en terme de marché, mais en terme d'architecture, et de droit pour tous à bénéficier de la même qualité. Car l'idée même de seuil a toujours laissé supposé qu'il y avait un développement à deux vitesses. Que penser d'un texte de loi, celui de 1977, qui a marqué de façon significative son attachement à la qualité architecturale pour ne la réserver, dans des décrets ultérieurs, qu'à certains types de construction.

Cela dit, je comprends que l'idée d'abaisser les seuils puisse déranger les différents constructeurs dans la mesure où toute nouvelle disposition entraînera ipso facto un contrôle étendu du respect des règles dans le secteur de la maison individuelle. Mais l'essentiel tient surtout au fait que l'intervention accrue des architectes permettra à n'en pas douter de donner un nouveau souffle à cette production, en la faisant passer du simple statut de construction à celui d'architecture soucieuse de durabilité.

Tel qu'il est formulé, le texte de Mme Tasca reste toutefois assez neutre puisqu'il précise que " les seuils seront abaissés, avec les souplesses permettant l'exercice des constructeurs de maisons individuelles ".


Si le seuil est une question de principe, quel est, selon vous, le point important de cette réforme ?

Un des points essentiels est la redéfinition de la mission, son encadrement et ses limites au regard des responsabilités et des assurances.
C'est pourquoi nous avons toujours défendu l'idée que la mission de l'architecte devait être d'emblée présumée globale à l'instar des dispositions de la loi MOP dans le cadre des marchés publics. Le fait de lier, comme actuellement dans le cadre des marchés privés, l'obligation de recours à l'architecte à une autorisation administrative comme le permis de construire ne s'impose pas en soi et n'est pas le vecteur ni l'assurance d'une garantie de qualité, dès lors que le concepteur ne peut mener sa mission jusqu'au bout.

Convenez qu'il est tout à fait anormal pour un architecte, comme pour le suivi de la qualité de son oeuvre et le contrôle architectural de son projet, de se voir contraint à ne réaliser que le dossier de permis de construire, tout en assumant dans le cadre de l'in-solidum des responsabilités professionnelles exorbitantes. Une société véritablement soucieuse de qualité ne devrait pas permettre de tels aménagements qui ne plaident guère en faveur d'une maîtrise cohérente de l'environnement.


Un des points évoqués en Conseil des ministres vous concerne directement puisqu'il porte sur la rénovation de l'Ordre des architectes.

Effectivement, car même si nous considérons que ce chapitre est mineur par rapport aux autres dispositions du projet de réforme, nous étions fortement demandeurs de plusieurs modifications. Au final, nous devrions tendre vers une organisation se rapprochant du dernier Ordre créé - celui des géomètres-experts - avec une touche de l'ARB anglaise. L'équivalent de Ordre des architectes en Grande Bretagne permet par exemple à la société civile - les organisations de consommateurs notamment - d'être représentée. L'Ordre pourrait également se voir reconnaître l'intérêt à agir en justice et assurer un contrôle sur la qualité des signataires de permis de construire. Enfin, un collègue Ordre-syndicat pourrait être créé de façon à ce que les organisations représentatives des architectes aient un passage obligé pour se rencontrer régulièrement.


Selon vous quel pourrait-être le calendrier de cette réforme ?

Tout d'abord, le texte prévoit une série de consultations, à priori jusqu'au mois de mai. Si le gouvernement actuel est reconduit après les élections, il est possible que le texte puisse être présenté à la session parlementaire de septembre.
En cas de victoire de l'actuelle opposition, je ne pense pas que ce projet soit fondamentalement remis en cause. A gauche comme à droite, il faut espérer que tout le monde aura d'ici là pris pleinement conscience de la nécessité d'une telle réforme et les élections sont pour nous l'opportunité d'interpeller et d'expliquer.


Enfin, en dehors de cette réforme, quels sont les grands chantiers de l'Ordre ?

Nous procédons à la refonte complète de tous les contrats de l'Ordre. Après le contrat général nous terminons celui portant sur la réhabilitation avant d'engager celui de la co-traitance.
Dan l'esprit de renforcer l'information ainsi que les conseils en matière de pratique professionnelle et juridique, nous avons redéployé notre revue "Les cahiers de la profession" qui se verra complétée bientôt par un site Intranet à destination de tous les architectes.

Bien évidemment, à l'image de la réforme de la loi de 1977, nous suivons quotidiennement tous les sujets politiques et techniques qui touchent de près ou de loin la profession comme la loi SRU, l'ingénierie publique, les problèmes d'assurance, les concours, la réforme du Code des marchés publics, la formation initiale et continue, sans oublier toutes les dossiers européens (révision des Directives, Directive Architecte) et internationaux sur lesquels il y aurait beaucoup à dire.

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