Le bâtiment - et plus particulièrement le secteur de l'habitat - est-il réfractaire à toute innovation ? Pas si simple. Pour Alain Maugard, président du CSTB, si les Français restent très attachés aux traditions en ce qui concerne leur maison, ils sont beaucoup plus ouverts sur la modernité dans tout ce qui touche à vie publique, y compris les bâtiments.
On a le sentiment que contrairement à d'autres secteurs de l'économie, la construction est à la traîne au niveau de l'innovation. Qu'en pensez-vous ?
Alain Maugard : Il y a deux volets en matière d'innovation dans la construction. Il faut distinguer l'innovation sur les ouvrages et celle sur les produits et matériaux qui rentrent dans leur fabrication. Ce dont je suis sûr, c'est qu'en ce qui concerne les produits, le rythme de l'innovation ne me paraît pas inférieur à ce qu'il se passe dans d'autres secteurs. Les fabricants de sanitaires, de fenêtres, d'équipement de la maison, de chauffage... renouvellent leur gamme assez souvent. Même les fabricants de produits considérés comme plus traditionnels comme le plâtre ou le béton innovent régulièrement. On assiste par exemple à l'arrivée des bétons auto-plaçants ou à celle d'une nouvelle génération de béton haute performance qui se rapproche presque des caractéristiques de l'acier...
Un bon moyen de constater le rythme de l'innovation dans construction est d'observer les nouveautés présentées au salon Batimat. On constate par exemple qu'au bout de deux éditions, soit quatre ans, plus de 50% des produits sont renouvelés.
Ceci étant dit : est-ce que l'on assiste pour autant à des innovations au niveau de l'ouvrage lui-même ? Là, je crois qu'il faut être beaucoup plus nuancé car il y a des tendances différentes selon la nature des ouvrages. Ainsi, les innovations mettent beaucoup plus de temps à pénétrer dans l'habitat que dans les bâtiments publics. En revanche, ces derniers cristallisent le mouvement architectural et n'ont rien à envier aux autres secteurs. Dans la foulée, les bureaux, les transports, les hôtels et les bâtiments industriels connaissent également un bon rythme d'innovation.
Est-ce à dire que c'est l'Etat qui donne l'impulsion dans la construction ?
A M : Oui, sur les ouvrages, ce sont incontestablement l'Etat et les collectivités locales qui prennent le plus de risques.
Je reviens au logement. Qu'est-ce qui, selon vous, explique l'absence d'audace architecturale et technologique dans ce secteur ?
A M : En France, le concept de maison traditionnelle à toujours fait recette. Je pense que cet immobilisme est lié à deux idées. Dans la journée, les Français sont de plus en plus confrontés à la modernité et on peut penser qu'en rentrant chez soi, ils ont besoin d'une coupure en retrouvant leurs racines... leurs pantoufles en quelque sorte. Reste qu'en matière de confort, je pense que s'il y a un trop gros décalage entre le confort que vous avez eu la journée et celui que vous avez chez vous le soir, il peut y avoir une certaine frustration.
Prenez la climatisation : aujourd'hui, les nouvelles générations de voitures sont toutes climatisées, les bureaux sont climatisés, les commerces sont climatisés, les salles de spectacles sont climatisées... bref, il ne reste que le transport en commun et la maison où les gens continuent à avoir chaud.
L'autre raison de cet immobilisme est liée à la valeur patrimoniale du logement. Les acquéreurs pensent forcement à la possibilité de revendre ou à la transmission de leur bien. Ajoutez à cela une volonté de retrouver des matières nobles et classiques en matière de décoration et on comprend mieux pourquoi l'habitat est assez réfractaire à l'innovation.
En fait, sur les lieux du travail les Français sont des nomades et sont donc beaucoup plus près de la modernité. Lorsqu'ils arrivent dans la partie sédentarisée - la maison - les Français veulent retrouver leurs racines et optent pour le traditionnel.
Le besoin de tradition est-il nécessairement un frein à l'innovation ?
A M : Cette tendance d'un retour de la tradition freine certainement l'innovation au niveau des produits utilisés, même si, dans certains cas, des nouveaux matériaux - comme les fenêtres en PVC - ont su s'imposer. Malgré tout, l'appel du confort reste le même. D'ailleurs, le fin du fin c'est le traditionnel avec un confort moderne.
Le confort devrait donc représenter un important facteur d'innovation pour la construction neuve, mais aussi pour l'amélioration des bâtiments existants. On peut imaginer qu'un mouvement se développe en faveur d'un maintien de l'enveloppe des bâtiments et une amélioration de leur confort. L'exemple des bâtiments de type Haussmanniens est intéressant. Personne n'a envie de détruire ces bâtiments anciens et dépourvus de confort à l'origine, mais aujourd'hui on y installe des ascenseurs, des digicodes, des salles de bains, des toilettes, bientôt la climatisation.
Je ne crois pas à l'idée du bâtiment jetable qui consiste à penser que la montée du confort se ferait par une accélération de la destruction reconstruction. C'est vrai pour l'automobile ou changer de voiture revient à changer de confort. Dans le bâtiment, on essaie d'améliorer le confort dans l'existant. C'est un moteur puissant de travaux dans l'ancien.
Qu'elles ont été les grandes innovations majeures de ces dix dernières années dans le bâtiment et quelle sont les tendances pour les années à venir ?
A M : On va commencer par les structures avec la percée de ce que l'on nomme la filière sèche. Cela veut dire deux choses : des ossatures porteuses et des façades qui ne sont plus qu'une enveloppe. Ces façades suspendues sont d'ailleurs à l'origine du formidable développement du verre.
Dans les toitures, on va vers de variétés tout à fait intéressantes. Les toitures chaudes confirment leur succès. Les toitures légères - qui ont démarré il y a plusieurs années pour ralentir ensuite - devraient repartir à nouveau. L'idée que la toiture peut se dédoubler, peut devenir façade fait son chemin... aujourd'hui il y a une liberté de ton sur la toiture que l'on avait pas auparavant.
Sur le confort, on a fait de très gros progrès en acoustique. En revanche, il n'y a pas eu de progrès notable au niveau de l'isolation thermique. Mais avec prise de conscience de l'effet de serre et de la nécessité d'économiser l'énergie, on est en train de rattraper ce retard. A l'heure actuelle, il y a dans les cartons des projets avec la capacité de faire vraiment chuter les consommations énergétiques. La RT 2000 va faire gagner 20% de mieux, et même 30 ou 40% dans les bâtiments publics mais on commence à voir arriver au CSTB des isolants extrêmement performants. Il se prépare actuellement de véritables sauts technologiques avec des coefficients de réduction de 1 à 5, 1 à 7 voire 1 à 10. Ces produits devraient sortir dans deux ou trois ans. De leur côté, les vitrages peu émissifs commencent à se généraliser avec une évolution attendue : le remplissage des doubles vitrages par des gaz de type argon.
L'idée d'un bâtiment qui ne consommerait plus d'énergie, d'un bâtiment autonome fait son chemin. C'est un peu le principe de la cogénération qui se développe d'ailleurs bien en Allemagne.
Le renouvellement de l'air est un confort encore insuffisamment installé mais la nécessité de maîtriser les consommation conduira à concevoir des solutions constructives tirant meilleur profit de l'inertie thermique, de la protection solaire et de la ventilation en période chaude. Il faut savoir qu'un courant d'air bien installé donne l'impression d'avoir trois degrés de moins.
Enfin comme c'est le cas pour le chauffage ou la protection solaire, la régulation de la ventilation devrait se développer.
Quel sont les grands chantiers au sein du CSTB ?
A M : On travaille beaucoup au niveau de la simulation avec une représentation de l'image et du son en 3D, ainsi qu'une représentation forcément symbolique de l'air et des températures. C'est le modèle, la maquette virtuelle comme ce qui se fait dans l'automobile. On travaille également sur des laboratoires virtuels où le bâtiment dans son ensemble est simulé dans ses réactions.
L'autre grand axe est la santé avec des recherche sur l'amélioration de la qualité de l'eau et de l'air. Aujourd'hui, nous sommes essentiellement un animal urbain, et notre environnement est un environnement construit. On a donc commencé à regarder ce que l'on respirait en s'intéressant davantage à l'air intérieur qu'à l'air extérieur. C'est la création l'observatoire de l'air intérieur qui été inauguré il y a quelques semaines.
Alain Maugard : Il y a deux volets en matière d'innovation dans la construction. Il faut distinguer l'innovation sur les ouvrages et celle sur les produits et matériaux qui rentrent dans leur fabrication. Ce dont je suis sûr, c'est qu'en ce qui concerne les produits, le rythme de l'innovation ne me paraît pas inférieur à ce qu'il se passe dans d'autres secteurs. Les fabricants de sanitaires, de fenêtres, d'équipement de la maison, de chauffage... renouvellent leur gamme assez souvent. Même les fabricants de produits considérés comme plus traditionnels comme le plâtre ou le béton innovent régulièrement. On assiste par exemple à l'arrivée des bétons auto-plaçants ou à celle d'une nouvelle génération de béton haute performance qui se rapproche presque des caractéristiques de l'acier...
Un bon moyen de constater le rythme de l'innovation dans construction est d'observer les nouveautés présentées au salon Batimat. On constate par exemple qu'au bout de deux éditions, soit quatre ans, plus de 50% des produits sont renouvelés.
Ceci étant dit : est-ce que l'on assiste pour autant à des innovations au niveau de l'ouvrage lui-même ? Là, je crois qu'il faut être beaucoup plus nuancé car il y a des tendances différentes selon la nature des ouvrages. Ainsi, les innovations mettent beaucoup plus de temps à pénétrer dans l'habitat que dans les bâtiments publics. En revanche, ces derniers cristallisent le mouvement architectural et n'ont rien à envier aux autres secteurs. Dans la foulée, les bureaux, les transports, les hôtels et les bâtiments industriels connaissent également un bon rythme d'innovation.
Est-ce à dire que c'est l'Etat qui donne l'impulsion dans la construction ?
A M : Oui, sur les ouvrages, ce sont incontestablement l'Etat et les collectivités locales qui prennent le plus de risques.
Je reviens au logement. Qu'est-ce qui, selon vous, explique l'absence d'audace architecturale et technologique dans ce secteur ?
A M : En France, le concept de maison traditionnelle à toujours fait recette. Je pense que cet immobilisme est lié à deux idées. Dans la journée, les Français sont de plus en plus confrontés à la modernité et on peut penser qu'en rentrant chez soi, ils ont besoin d'une coupure en retrouvant leurs racines... leurs pantoufles en quelque sorte. Reste qu'en matière de confort, je pense que s'il y a un trop gros décalage entre le confort que vous avez eu la journée et celui que vous avez chez vous le soir, il peut y avoir une certaine frustration.
Prenez la climatisation : aujourd'hui, les nouvelles générations de voitures sont toutes climatisées, les bureaux sont climatisés, les commerces sont climatisés, les salles de spectacles sont climatisées... bref, il ne reste que le transport en commun et la maison où les gens continuent à avoir chaud.
L'autre raison de cet immobilisme est liée à la valeur patrimoniale du logement. Les acquéreurs pensent forcement à la possibilité de revendre ou à la transmission de leur bien. Ajoutez à cela une volonté de retrouver des matières nobles et classiques en matière de décoration et on comprend mieux pourquoi l'habitat est assez réfractaire à l'innovation.
En fait, sur les lieux du travail les Français sont des nomades et sont donc beaucoup plus près de la modernité. Lorsqu'ils arrivent dans la partie sédentarisée - la maison - les Français veulent retrouver leurs racines et optent pour le traditionnel.
Le besoin de tradition est-il nécessairement un frein à l'innovation ?
A M : Cette tendance d'un retour de la tradition freine certainement l'innovation au niveau des produits utilisés, même si, dans certains cas, des nouveaux matériaux - comme les fenêtres en PVC - ont su s'imposer. Malgré tout, l'appel du confort reste le même. D'ailleurs, le fin du fin c'est le traditionnel avec un confort moderne.
Le confort devrait donc représenter un important facteur d'innovation pour la construction neuve, mais aussi pour l'amélioration des bâtiments existants. On peut imaginer qu'un mouvement se développe en faveur d'un maintien de l'enveloppe des bâtiments et une amélioration de leur confort. L'exemple des bâtiments de type Haussmanniens est intéressant. Personne n'a envie de détruire ces bâtiments anciens et dépourvus de confort à l'origine, mais aujourd'hui on y installe des ascenseurs, des digicodes, des salles de bains, des toilettes, bientôt la climatisation.
Je ne crois pas à l'idée du bâtiment jetable qui consiste à penser que la montée du confort se ferait par une accélération de la destruction reconstruction. C'est vrai pour l'automobile ou changer de voiture revient à changer de confort. Dans le bâtiment, on essaie d'améliorer le confort dans l'existant. C'est un moteur puissant de travaux dans l'ancien.
Qu'elles ont été les grandes innovations majeures de ces dix dernières années dans le bâtiment et quelle sont les tendances pour les années à venir ?
A M : On va commencer par les structures avec la percée de ce que l'on nomme la filière sèche. Cela veut dire deux choses : des ossatures porteuses et des façades qui ne sont plus qu'une enveloppe. Ces façades suspendues sont d'ailleurs à l'origine du formidable développement du verre.
Dans les toitures, on va vers de variétés tout à fait intéressantes. Les toitures chaudes confirment leur succès. Les toitures légères - qui ont démarré il y a plusieurs années pour ralentir ensuite - devraient repartir à nouveau. L'idée que la toiture peut se dédoubler, peut devenir façade fait son chemin... aujourd'hui il y a une liberté de ton sur la toiture que l'on avait pas auparavant.
Sur le confort, on a fait de très gros progrès en acoustique. En revanche, il n'y a pas eu de progrès notable au niveau de l'isolation thermique. Mais avec prise de conscience de l'effet de serre et de la nécessité d'économiser l'énergie, on est en train de rattraper ce retard. A l'heure actuelle, il y a dans les cartons des projets avec la capacité de faire vraiment chuter les consommations énergétiques. La RT 2000 va faire gagner 20% de mieux, et même 30 ou 40% dans les bâtiments publics mais on commence à voir arriver au CSTB des isolants extrêmement performants. Il se prépare actuellement de véritables sauts technologiques avec des coefficients de réduction de 1 à 5, 1 à 7 voire 1 à 10. Ces produits devraient sortir dans deux ou trois ans. De leur côté, les vitrages peu émissifs commencent à se généraliser avec une évolution attendue : le remplissage des doubles vitrages par des gaz de type argon.
L'idée d'un bâtiment qui ne consommerait plus d'énergie, d'un bâtiment autonome fait son chemin. C'est un peu le principe de la cogénération qui se développe d'ailleurs bien en Allemagne.
Le renouvellement de l'air est un confort encore insuffisamment installé mais la nécessité de maîtriser les consommation conduira à concevoir des solutions constructives tirant meilleur profit de l'inertie thermique, de la protection solaire et de la ventilation en période chaude. Il faut savoir qu'un courant d'air bien installé donne l'impression d'avoir trois degrés de moins.
Enfin comme c'est le cas pour le chauffage ou la protection solaire, la régulation de la ventilation devrait se développer.
Quel sont les grands chantiers au sein du CSTB ?
A M : On travaille beaucoup au niveau de la simulation avec une représentation de l'image et du son en 3D, ainsi qu'une représentation forcément symbolique de l'air et des températures. C'est le modèle, la maquette virtuelle comme ce qui se fait dans l'automobile. On travaille également sur des laboratoires virtuels où le bâtiment dans son ensemble est simulé dans ses réactions.
L'autre grand axe est la santé avec des recherche sur l'amélioration de la qualité de l'eau et de l'air. Aujourd'hui, nous sommes essentiellement un animal urbain, et notre environnement est un environnement construit. On a donc commencé à regarder ce que l'on respirait en s'intéressant davantage à l'air intérieur qu'à l'air extérieur. C'est la création l'observatoire de l'air intérieur qui été inauguré il y a quelques semaines.