CULTURE. L'exposition "Art déco France-Amérique du Nord" à la Cité de l'Architecture rend hommage aux grands architectes de cette époque foisonnante. Entre Paris et les États-Unis, les commissaires s'attachent à démontrer l'influence de ce mouvement artistique sur le développement des villes.
L'Art déco est à l'honneur de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine. A travers sa nouvelle exposition "Art déco France-Amérique du Nord", le musée parisien explore cette période riche en créations de la fin du XIXe siècle aux années 1930. Visible jusqu'au 6 mars 2023, l'installation offre un récit des échanges intellectuels et artistiques transatlantiques. Elle dévoile, en 350 œuvres, comment ce mouvement artistique a profondément marqué l'architecture et les autres domaines, du design au graphisme, en passant par la sculpture et la mode. Le visiteur est plongé dans l'esprit de l'époque, en quête de modernité. Ornementations et motifs floraux sont mis en avant dans cette collection qui souligne l'importance des arrondis et des lignes dans l'Art déco.
Le travail de Jacques Carlu mis en lumière
L'Art déco se manifeste de mille façons en France comme aux États-Unis. On pense par exemple au projet du palais de Chaillot, imaginé par l'architecte Jacques Carlu et largement documenté dans cette exposition. Cet architecte a conçu une grande esplanade et une perspective magistrale sur Paris et la tour Eiffel. Deux pavillons monumentaux prolongés d'ailes symétriques encadrent cet ensemble, dont les dimensions évoquent celles des bâtiments emblématiques de la ville de Washington. C'est notamment là qu'est aujourd'hui abritée la Cité de l'Architecture. Prix de Rome d'architecture en 1919, Jacques Carlu a grandement contribué au mouvement Art déco. Les commissaires de l'exposition ont ainsi décidé d'afficher, en début de visite, son portrait aux côtés de l'architecte américain Raymond Hood, auteur du Chicago Tribute, ce gratte-ciel de bureaux de 141 mètres de haut.
L'exposition montre également les liens à effectuer entre le premier conflit mondial et certaines caractéristiques de cet art. Sont ainsi évoqués l'engagement d'artistes et intellectuels pour la sauvegarde de certains bâtiments et la guerre d'images visant à mettre à portée des regards les destructions commises par les Allemands. Les artistes et les journaux français parlent également de l'arrivée sur les champs de bataille des volontaires américains, dont la détermination et le courage sont souvent symbolisés par une tête de chef amérindien. Un motif qui sera utilisé pour décorer des édifices Art déco aux États-Unis et au Canada, ou encore des gratte-ciel, des gares et des bâtiments publics. "On retrouve le motif, magnifié, sur le mémorial La Fayette du parc de Saint-Cloud, près de Paris, où est célébrée la mémoire de soixante-huit soldats disparus lors des combats", explique lors de la visite de l'exposition Emmanuel Bréon, conservateur en chef.
Des influences partagées
Les commissaires se penchent aussi sur l'École des Beaux-Arts de Meudon, qui a formé durant les deux dernières décennies du XIXe siècle 400 architectes américains et canadiens à l'architecture, la sculpture et la fresque. De nombreux professionnels influents y sont passés. Victor Laloux, signataire de la gare d'Orsay, y enseigne et Gutzon Borglum, connu pour avoir sculpté le mont Rushmore, y reçoit une formation.
C'est grâce à l'École des Beaux-Arts de Meudon que des architectes américains imaginent des buildings Art déco, ces gratte-ciel en verre si caractéristiques du paysage urbain outre-Atlantique. Des Français, à l'instar de Paul Cret, participent également à cette tendance en réalisant notamment le "palais" de la Pan American Union Headquarters, à Washington, le Detroit Institute of Arts ou encore la Fondation Barnes à Philadelphie. "Mais dans l'Hexagone, les architectes sont réticents à l'idée de construire des tours", raconte Emmanuel Bréon.
"En 1923, l'Américain Lloyd Warren imagine l'École des beaux-arts de Fontainebleau. Jacques Carlu, américanophile, enseigne à 70 disciples américains l'architecture. Des spécialistes de la fresque viennent aussi enseigner", ajoute Bénédicte Mayer, attachée de conservation. "Lloyd Warren crée également les Beaux-Arts Institute of Design à New York. La France influence les États-Unis et inversement, dans un aller-retour permanent de créativité", reprend le conservateur en chef. Il faut dire qu'à l'époque, "l'upperclass nord-américaine, francophile et francophone, se porte garante du nouveau style franco-américain".
Une déclinaison dans le temps
Les ambassades sont aussi vectrices de l'esprit Art déco. L'ambassade du Mexique à Paris, confiée à l'architecte français André Durand et à l'artiste mexicain Ángel Zárraga, en est un parfait exemple. Esthétisme et fonctionnalité se conjuguent dans ce bâtiment administratif. Mais ce n'est pas tout. La mode, les arts de la table et la joaillerie s'emparent de ce style à l'esthétique célébrée. On retrouve de l'Art déco partout, sur des collections de parfums, des robes de soirée mais aussi dans le design des paquebots. Les paquebots Île-de-France (1927) et Normandie (1935), influencés par les architectes français, "font office d'ambassades flottantes du nouveau style", souligne Emmanuel Bréon. "Ils sont le symbole d'une époque et d'un art du voyage à la française."
L'Art déco se décline même en "architecture tropicale déco" à Miami Beach, commente Bénédicte Mayer. L'ouragan de 1926 qui s'abat sur les côtes de ce territoire, et la crise économique de 1929 poussent les architectes, entre 1930 et 1950, à imaginer un Art déco épuré et simplifié. Les immeubles sont modernes et composés de matériaux peu coûteux, tels que le béton, le verre et le terrazzo. Les tons clairs sont favorisés, et les immeubles, d'une hauteur oscillant entre 4 et 6 étages, sont dotés de toit-terrasse. La station balnéaire "très grand luxe" fréquentée par des milliardaires devient un lieu "destiné à Monsieur Tout-le-Monde".
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1, place du Trocadéro, Paris 16e