CONJONCTURE. Un an et demi après le déclenchement de la crise du Covid, la Fédération française du bâtiment se félicite d'avoir maintenu et même renforcé l'emploi du secteur, tout en bénéficiant d'une nette hausse de l'amélioration-entretien, segment porté par le succès de Ma prime rénov'. La menace des pénuries de matériaux et de l'explosion des prix qui va avec fait néanmoins trembler la profession.
"Pour cette date-anniversaire de ma prise de fonction, j'aurais aimé vous parler d'autre chose que du Covid", a soupiré Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), lors d'une conférence de presse sur la conjoncture du secteur ce 22 juin 2021. On l'aura remarqué, le coronavirus s'invite effectivement dans tous les sujets - du sanitaire à l'économique en passant par le politique - depuis un an et demi déjà, maintenant un climat d'incertitudes pénible et suffocant.
Ma prime rénov' et le record de transactions dans l'ancien portent le marché de la rénovation
Dans la construction, tout n'est cependant pas noir. Le début d'année 2021 se traduit par une accélération des prises de commandes, particulièrement sur le segment de l'amélioration-entretien, qui pèse pour plus de 58% dans le total d'activité des professionnels du secteur. D'après la fédération, le chiffre d'affaires progresserait ainsi de 10% en volume sur les trois premiers mois de l'année, en léger retrait en comparaison au 1er trimestre 2019, preuve que la crise sanitaire impacte encore un peu l'activité. Le segment de la rénovation énergétique profite lui aussi d'une hausse de 10% sur un an et de plus de 1% sur deux ans. L'explication avancée par Olivier Salleron : "l'explosion positive de Ma prime rénov'", dispositif d'aide dont le franc succès a obligé le Gouvernement a abonder le budget qui lui est consacré. L'avenir devrait également être propice à cette aide, pour laquelle 800.000 dossiers ("gestes" simples comme rénovations globales) pourraient être déposés sur tout l'exercice 2021.
D'autres facteurs sont tout de même à souligner, comme "la très bonne tenue des transactions dans l'ancien, avec la plupart du temps un accompagnement énergétique", poursuit le président de la FFB. Un volume record d'environ 1,1 million de logements vendus sur un an à la fin mars 2021 a effectivement été enregistré, parallèlement à de nombreux travaux lancés par les particuliers se retrouvant confinés et/ou en télétravail.
Dans le neuf, l'individuel résiste mais le collectif plonge
Pour le neuf, par contre, la musique est toute autre. "L'individuel constitue le principal moteur", note Olivier Salleron. Certes, si l'on se réfère aux chiffres de 2019 pour éviter "l'effet de base" provoqué par le premier confinement du printemps 2020, les mises en chantier et permis de construire progressent respectivement de 5% et 15% au 1er quadrimestre 2021. Dans le même temps, les ventes du segment diffus s'affichent à +17%. La relance semble donc là, mais "elle est maintenant menacée", prévient le patron de la fédération. La reprise peut s'expliquer par une anticipation de la transformation, début juillet, des recommandations du Haut conseil de stabilité financière pour les accords de prêts, et par celle de l'entrée en vigueur de la Réglementation environnementale 2020 au 1er janvier 2022. Mais dans le collectif, les chiffres restent mauvais : d'un côté, les mises en chantier ont augmenté d'environ 4% au 1er trimestre 2021 par rapport au 1er quadrimestre 2019, mais de l'autre, les permis de construire ont reculé de 10%, pendant que ventes et mises en vente des promoteurs ont accusé -4% et -9% entre le 1er trimestre 2019 et celui de 2021.
Une tendance qui fait dire à la profession que la commission Rebsamen tombe à point nommé : "On attend beaucoup de cette commission ; grand bien a fait au Gouvernement de s'apercevoir que le logement neuf s'effondrait et que l'année 2021 serait la pire depuis 30 ans", a poursuivi Olivier Salleron. Les conséquences sont encore plus négatives pour le non-résidentiel neuf, dont les surfaces commencées et les surfaces autorisées chutent de 16% et 22% en comparaison aux quatre premiers mois de l'année 2019 ; l'ensemble des segments est impacté, y compris la commande publique. Plus largement, le Bâtiment assure que ses mauvais chiffres plombent la relance de toute l'économie, dans la mesure où les flux d'investissements dans la construction étaient attendus pour le 1er trimestre 2021 à +5,1% et qu'ils ne se sont élevés qu'à +0,6%.
Création de 48.000 postes supplémentaires depuis janvier
Paradoxalement, ces inquiétudes ne se traduisent pas pour autant dans la santé financière des entreprises, dont les carnets de commandes ont enregistré jusqu'ici une augmentation en volume de 11%, atteignant des niveaux records, toutes tailles d'entreprises confondues. Mais même si la dynamique est bien présente, elle ne suffirait pas, en l'état actuel des choses, à rattraper le retard de 2020 : "Il y a une bonne orientation mais à condition que les difficultés d'approvisionnement se règlent très vite", prévient le président de la FFB.
La tendance est aussi très favorable pour l'emploi, puisque le Bâtiment a créé 48.000 postes supplémentaires (intérimaires compris) depuis le début de l'année. "Non seulement nous avons maintenu les emplois, mais nous en avons également créé des nouveaux", s'est réjoui Olivier Salleron. L'apprentissage surfe pour sa part sur une croissance de 10%, avec une demande qui continue encore à croître. Sur l'année, la profession estime pouvoir atteindre 60.000 postes supplémentaires et ce, en dépit de difficultés de recrutement qui persistent encore et toujours. D'excellents indicateurs qui n'améliorent pourtant pas la rentabilité des entreprises : leurs trésoreries restent inférieures de 4,2 points de pourcentage par rapport à leur niveau d'avant-crise. Ce qui peut être dû à la reprise de l'emploi mais aussi à la crise des matériaux.
La crise des matériaux pourrait repousser la sortie de crise
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Cette dernière pénalise inéluctablement de plus en plus de professionnels, lesquels dénoncent des contrats signés dont la perte qu'ils subiraient en réalisant les chantiers sans révision des prix s'avèrerait au final plus importante que la pénalité qu'ils encourent en y renonçant. Selon la FFB, d'autres entreprises sont même contraintes de placer des salariés en activité partielle voire en congés, faute de matériaux pour effectuer les travaux. Les tensions seraient palpables dans la plupart des corps d'état et sur tout le territoire, faisant trembler la reprise que connaît le secteur. "Le bois et les panneaux de bois ont vu leurs prix être multipliés par 2 voire par 3 sur certains sites", a cité le président de la fédération en exemple.
Alors que le Gouvernement s'est emparé du sujet et que le Bâtiment a lancé un appel à la responsabilité de l'ensemble des acteurs, la FFB a présenté ses propositions pour sortir de l'impasse (voir encadré). Malgré tout, le secteur craint que ces problèmes d'approvisionnement ne repoussent d'autant la sortie de crise, initialement prévue à l'été 2021, et qui du coup serait renvoyée à fin 2021 voire début 2022.
La Déduction forfaitaire spécifique menacée ?
Dernier sujet : la FFB s'inquiète d'une "nouvelle attaque" qui serait menée par l'Administration à l'encontre de la Déduction forfaitaire spécifique, ou DFS. Pour rappel, il s'agit d'un abattement de 10% de l'assiette des cotisations de Sécurité sociale pour les employeurs comme pour les employés, en contrepartie des frais supplémentaires induits par la mobilité de leur lieu de travail. Cette disposition sociale s'appliquerait, d'après la FFB, à 45% d'ouvriers, 10% d'agents de maîtrise et 5% de cadres dans le Bâtiment. Déjà sur le grill du Gouvernement en 2019 pour l'économie d'un milliard d'euros qu'elle serait susceptible de représenter pour les caisses de l'État, la DFS serait de nouveau dans le viseur des pouvoirs publics, mais cette fois de manière plus "insidieuse", plus "perfide", selon les mots de la fédération.
Concrètement, la mise en ligne le 1er avril dernier du Bulletin officiel de la Sécurité sociale, un document qui répertorie "toute la doctrine administrative en matière de cotisations sociales", aurait indiqué la remise en cause de "plusieurs curseurs concernant la DFS", rendant ainsi la mesure plus complexe à mettre en oeuvre. Ce qui, par ricochet, dissuaderait les entreprises à appliquer la mesure. Et pourrait entraîner un surcoût estimé à 750 millions d'euros pour les entreprises, ainsi qu'un impact sur les salaires nets. Sans surprise, la FFB demande donc à l'Administration de conserver le mode de calcul qui prévalait jusqu'alors. "Ce n'est vraiment pas le moment de faire cela", a commenté Olivier Salleron, pointant "un obstacle de plus" pour la filière.
Les propositions de la FFB pour les difficultés d'approvisionnement en matériaux de construction