VISION. Deux architectes sont venus, lors d'EnerJ-meeting Nantes 2021, apporter leur vision de l'architecture de demain. Au programme : frugalité, réhabilitation de l'existant et souci du bien-être des occupants.
A quoi pourrait finir par ressembler l'architecture usuelle, à l'heure du dérèglement climatique ? Deux architectes sont venus, le 28 septembre 2021 lors d'EnerJ-meeting Nantes, apporter des éléments de réponse concrets. Philippe Madec a posé les échanges en assurant que nous étions loin du compte, estimant que seulement 0,01% du parc neuf construit chaque année en France était réellement performant environnementalement. "Ce n'est pas comme ça que nous réduirons l'impact de nos métiers sur la situation climatique", a-t-il regretté. Aussi présente-t-il son programme de la façon suivante : "Ces cinquante dernières années, nous avons reconstruit. Dans les cinquante années qui viennent, nous allons réhabiliter."
Mettre sur "pause" les engins de démolition
Avec une sorte de travail de deuil à faire pour les architectes : "Il faudra apprendre à renoncer à l'œuvre architecturale que nous aurions pu réaliser en neuf", a formulé Marika Frenette, architecte et urbaniste chez Wigwam ingénierie, également intervenante à EnerJ-meeting Nantes. Pour elle, il faut opérer un changement de mentalité radical. Alors que les constructeurs, au sens larges, ont été formés pour construire, il va falloir apprendre à valoriser le fait de ne pas construire, là où l'on pourrait rénover ou mutualiser. "Le momentum est en train de changer", se félicite-t-elle d'ailleurs. Rien d'intéressant, toutefois, ne se fera dans la précipitation, même si le dérèglement climatique se fait de plus en plus pressant. "L'idée, c'est de mettre sur 'pause' les engins de démolition, de prendre le temps de réfléchir ; et, avant même de se demander si l'on va inclure du biosourcé ou viser du passif, se demander si l'on ne peut pas transformer ou réparer l'existant."
Cette philosophie de réhabilitation et d'intervention sur l'existant ne doit pas se limiter à de simples critères techniques. "Nous voulons deux fois plus de bien-être avec deux fois moins de ressources", formule Philippe Madec, l'un des trois initiateurs du manifeste pour une frugalité heureuse et créative. Il a illustré cette méthode en exposant les caractéristiques de l'un de ses derniers projets, la reconversion du lycée Jean Quarré en médiathèque et maison des réfugiés, dans le XIXème arrondissement de Paris. Des éléments des bâtiments initiaux y ont été déconstruits pour être soit réutilisés sur place (des vitres et allèges concassés et transformés en sols, par exemple), soit renvoyés vers les filières de tri. "Le bâtiment devient sa propre matière ; la vie, elle-même, est une carrière avec tellement de ressources. [...] Ces bâtiments existants, en béton, étaient très bien construits, nous n'allions pas les jeter", a exposé Philippe Madec.
Ce "foutu" béton armé de ciment portland
En matière d'amélioration du confort et de l'usage, l'architecte a œuvré pour faire entrer la luminosité, la chaleur et l'air dans ce qui était une boîte étanche. Les matériaux géosourcés ont été privilégiés : chêne pédonculé francilien, et au cœur de l'ouvrage un mur en terre coulée, qui n'a pas de rôle structurel (ce qui aurait nécessité un avis technique). Comme un premier aperçu de la construction de demain, où "l'on mettra autre chose dans les banches que ce 'foutu' béton armé de ciment Portland", a souhaité Philippe Madec. Le chantier s'est approvisionné à une argile "de très belle qualité" issue des terres excavées dans le cadre du Grand Paris express. "La terre est en train de trouver sa place en Île-de-France", s'est félicité l'architecte.
Enfin, dans une métaphore aquatique, Marika Frenette a invité les acteurs du monde de la construction à se faire "sardines", ces poissons ayant apparemment comme particularité de pouvoir se déplacer en banc, sans pour cela être dirigés par un meneur. De quoi espérer pouvoir surmonter les défis posés par le changement climatique ?