ANALYSE. Presque 40.000 chefs d'entreprises ont perdu leur emploi en 2022, ce qui représente une importante poussée de 34% en un an. Les dirigeants sont clairement pénalisés par le cumul des crises de ces trois dernières années.
"Chaque jour, plus de 100 chefs d'entreprises perdent leur emploi. Les chiffres de 2022 nous alertent sur une réalité que nous connaissons déjà", déplore le président de l'association GSC, Anthony Streicher. La structure, créée en 1979 par les trois organisations patronales françaises - Medef, CPME et U2P - et qui propose aux entrepreneurs de maintenir leurs revenus en cas de perte d'activité professionnelle, vient de publier en collaboration avec le cabinet d'études Altares l'édition 2022 de leur Observatoire de l'emploi des entrepreneurs. Et les chiffres ne sont pas bons.
Ce sont 9.800 femmes et hommes supplémentaires qui ont pointé au chômage l'année dernière, soit une forte poussée de 34,1% en un an. Au total, 38.670 chefs d'entreprises ont ainsi perdu leur emploi en 2022, plombés par les crises qui se succèdent depuis trois ans. Pandémie de Covid, restrictions sanitaires, perturbations des chaînes logistiques, hausse des coûts, difficultés d'approvisionnement voire pénuries, remboursement des dettes et des PGE (prêts garantis par l'État), remontée des taux d'intérêt, inflation, crise énergétique, manque de main-d'oeuvre... La liste de ces "difficultés multifactorielles" est longue mais bien réelle.
Et elle pourrait encore s'allonger. "Les entrepreneurs doivent faire face à un contexte économique particulièrement difficile dans lequel les fragilités se multiplient et s'alimentent. Alors que les tensions sur la trésorerie se font déjà sentir, la reprise des procédures d'assignation de l'Urssaf en 2023 pourrait encore accélérer la remontée des défaillances déjà observée en 2022", s'inquiète Anthony Streicher. Les données compilées par la Banque de France mais aussi par Altares indiquent effectivement une progression parfois alarmante des faillites d'entreprises, même si pour l'instant elles restent inférieures à leur niveau d'avant-Covid.
Un tiers des chefs d'entreprises perdant leur poste ont plus de 51 ans
L'âge médian des entrepreneurs au chômage, calculé par l'observatoire, se rapproche d'ailleurs lui aussi de son niveau de 2019. Il s'établit pour 2022 à 46,3 ans, sachant que les trois tranches d'âges les plus impactées sont 41-50 ans (28,2% du total, en hausse de 37,7% par rapport à 2021), 31-40 ans (25,6%, en augmentation de 46,4%) et 51-60 ans (23,6%, en progression de 46,4%). Autrement dit, plus d'un tiers des chefs d'entreprises perdant leur poste ont plus de 51 ans. Ce qui pose la question du "rebond professionnel" pour cette population ayant déjà atteint un certain âge.
"Près de 2 entrepreneurs sur 3 n'ont pas anticipé une éventuelle perte d'emploi. Chacun doit être libre de sécuriser ou non son parcours professionnel, mais ayons conscience qu'il s'agit collectivement de la capacité de reprise de la France", pointe encore le président de GSC. Un sujet qui interpelle d'autant plus dans le contexte politique et social actuel, marqué par la réforme des retraites qui prévoit de repousser l'âge légal de départ de 62 à 64 ans.
Défaillance des partenaires
Quoi qu'il en soit, ce sont une fois de plus les plus petites structures qui sont pénalisées. Les trois quarts des dirigeants s'étant inscrits au chômage en 2022 étaient à la tête d'une société de moins de 3 salariés. Mais l'augmentation la plus conséquente a été constatée au sein des entreprises de plus de 50 salariés : 131 d'entre elles étaient concernées en 2021, contre 198 en 2022, soit un bond de 51,1%.
Avec 3.392 personnes, la catégorie des artisans-commerçants s'est notamment retrouvée en première ligne face à la flambée des prix énergétiques. De même, quasiment 8 entrepreneurs sur 10 touchés dirigeaient une société dont le chiffre d'affaires était inférieur à 500.000 €, preuve que les plus petites structures - donc avec les plus petites trésoreries - restent les plus exposées.
Cependant, "l'économie fait encore preuve d'une surprenante résistance, au point que la menace d'une récession un temps redoutée semble s'éloigner", nuance Frédéric Barth, directeur général d'Altares. D'après lui, "les indices sont meilleurs qu'attendus en ce début d'année mais les dirigeants d'entreprises vont devoir composer avec des risques encore bien présents". Parmi eux, "la défaillance de leurs partenaires commerciaux, voire de leur propre entreprise".
"Permacrise"
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Bien que leurs carnets de commandes soient encore remplis, les artisans et entreprises du bâtiment doivent composer avec des difficultés d'approvisionnement et de recrutement, ainsi que l'inflation des matières premières. Plus de 8.600 d'entre eux ont ainsi perdu leur emploi l'année dernière, soit 23,4% du total et un chiffre en progression de 27,9% sur 12 mois.
"Tombées à un plus bas de plus de 30 ans en 2021, les cessations de paiements s'envolent désormais chez les TPE mais aussi les PME fragilisées par cette 'permacrise' qui s'est invitée au fil des mois. 9.300 entreprises sont déjà tombées en faillite en janvier-février 2023 ; c'est un millier de plus que début 2020, avant que la pandémie ne paralyse l'économie", complète Frédéric Barth.
La situation est préoccupante dans les Hauts-de-France, en Normandie et en Occitanie, trois régions ayant enregistré une hausse sévère de plus de 50% des pertes d'emploi chez les entrepreneurs, avec respectivement 73,3%, 56% et 53,1%. Territoire comptant le plus grand nombre d'entreprises, l'Île-de-France a totalisé 8.366 destructions de postes, en augmentation de 27,2% sur un an. Bien qu'elle compte à elle seule moins d'un quart des pertes d'emploi nationales, la région francilienne a sans doute été en partie aidée par son dynamisme économique.