DECRYPTAGE. Le gouvernement vient de publier un projet d'ordonnance transformant le compte pénibilité en "compte professionnel de prévention". Ce texte concrétise-t-il les promesses faites par le premier ministre Edouard Philippe, qui avait annoncé une suppression de quatre critères de pénibilité touchant notamment le BTP ? Eclairage avec deux spécialistes en droit social.
Parmi les cinq projets d'ordonnances dévoilés la semaine dernière et constituant la future "loi Travail", l'un est entièrement consacré à la transformation du compte pénibilité en "compte professionnel de prévention". En juillet dernier, le premier ministre Edouard Philippe avait annoncé une simplification drastique du dispositif, passant notamment par la suppression de quatre critères de pénibilité particulièrement difficiles à évaluer : manutentions de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risque chimique.
Un décret décisif est en attente
Le projet d'ordonnance dévoilé le jeudi 31 août prend-il bien en compte cette simplification que les organisations professionnelles du secteur appellent de leurs voeux ? "Le texte nous maintient dans un certain flou, puisqu'il nous renvoie à un futur décret en ce qui concerne les critères de pénibilité qui resteront dans le dispositif", nous informe Stéphane Wathier, consultant prévention chez Previsoft. Un flou qui, toutefois, selon Marc-Antoine Godefroy, avocat au cabinet Michel Ledoux et associés, n'est en peut-être pas un. "A priori, ce décret sera sans surprise et entérinera la suppression des quatre critères", affirme-t-il auprès de Batiactu. "Les syndicats de salariés sont peu mobilisés sur ce sujet. Cela va simplifier considérablement l'évaluation des risques, dans le cadre de ce dispositif qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2018."
L'autre modification tient au financement du compte : les deux cotisations que payaient les employeurs, la cotisation de base et l'additionnelle, sont suprimées. Le dispositif sera financé à présent par la branche AT/MP. "C'est astucieux de la part du gouvernement. Car la réforme des retraites de 2010 avait instauré une majoration liée à la pénibilité dans le cadre du calcul des taux AT/MP. Les pouvoirs publics vont peut-être décider de l'augmenter pour pallier ses pertes suite à la suppression des deux cotisations qui financaient le compte pénibilité", envisage déjà l'avocat Marc-Antoine Godefroy. L'ordonnance intègre également le fonds de financement de la pénibilité à la branche accidents du travail / maladies professionnelles.
Un nouveau dispositif davantage axé sur la compensation que sur la prévention
Enfin, le terme "pénibilité" disparaît totalement du texte, au profit de la nouvelle dénomination de "compte professionnel de prévention". Evolution qui fait tiquer avocats en droit social et préventeurs, dans la mesure où ce dispositif semble davantage être de l'ordre de la réparation que de la prévention. "C'est le travers de la politique de pénibilité menée depuis des années : le législateur cherche surtout à compenser l'apparition de maladies professionnelles", observe Marc-Antoine Godefroy. "Le compte pénibilité initial vous offrait l'horizon de réduire votre exposition aux risques en vous permettant de vous former, de passer à temps partiel ou de prendre une retraite anticipée." Ce qui est moins le cas aujourd'hui avec la suppression de quatre critères importants.
"Sur les six critères maintenus, seulement deux dépendent du préventeur, à savoir températures extrêmes et bruit. Trois autres [travail répétitif, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, NDLR] dépendant des services de ressources humaines", remarque pour sa part Stéphane Wathier. "Quant au dernier, travail en milieu hyperbare, on le croise très rarement."
Même simplifié, le compte représentera un "travail énorme" pour les entreprises
Le compte pénibilité sera simplifié, mais il ne faut pas croire pour autant qu'il sera vidé de sa substance. Six critères restent en vigueur, dont le travail répétitif. Et le système de points que les salariés exposés à la pénibilité peuvent obtenir est toujours en place. "La suppression de la cotisation additionnelle incitera d'ailleurs les entreprises à surdéclarer l'exposition à la pénibilité de leurs salariés", note d'ailleurs Marc-Antoine Godefroy. Auparavant, seules les entreprises dont les salariés étaient exposé à un critère de pénibilité au-delà du seuil prévu étaient concernées par cette cotisation.
Par ailleurs, de nombreuses branches n'ont toujours pas réalisé de référentiel pénibilité, comme le bâtiment et les travaux publics. "Pour les branches qui sont concernées par l'un des seuils qui sont maintenus, et qui ne disposent pas d'un référentiel de branche, cela sera compliqué", affirme Marc-Antoine Godefroy. "Et même avec les référentiels à disposition, la gestion de ce compte restera un travail énorme."